diff --git "a/99E0T4oBgHgl3EQfgAA0/content/tmp_files/2301.02411v1.pdf.txt" "b/99E0T4oBgHgl3EQfgAA0/content/tmp_files/2301.02411v1.pdf.txt" new file mode 100644--- /dev/null +++ "b/99E0T4oBgHgl3EQfgAA0/content/tmp_files/2301.02411v1.pdf.txt" @@ -0,0 +1,3029 @@ +arXiv:2301.02411v1 [math.AG] 6 Jan 2023 +QUELQUES ASPECTS ARITHMÉTIQUES ET GÉOMÉTRIQUES +DES CYCLES ALGÉBRIQUES ET DES MOTIFS +GIUSEPPE ANCONA +Habilitation à diriger les recherches +Soutenue le 17 Novembre 2022 devant le jury composé de : +Yves André, examinateur +Joseph Ayoub, rapporteur +Jean-Benoît Bost, examinateur +Anna Cadoret, rapporteur +François Charles, rapporteur +Carlo Gasbarri, examinateur +Rutger Noot, garant +Table des matières +Remerciements +3 +0. +Introduction +7 +1. +A quoi servent les motifs ? +10 +2. +Cohomologies de Weil +12 +3. +Conjectures standard et moins standard +18 +4. +Exemples +23 +5. +Autodualité et conservativité +29 +6. +Positivité en caracteristique positive +32 +7. +Périodes p-adiques à la André +39 +8. +Motifs des schémas en groupes commutatifs +46 +9. +Construction de classes algébriques +52 +Références +57 +1 + + +MÉMOIRE HDR +3 +Remerciements +On m’avait souvent décrit l’Habilitation comme une formalité par laquelle il +fallait passer. Je me rends compte qu’en fait d’une part j’ai pris plaisir à rédiger +ce mémoire et d’autre part c’est avec un peu d’émotion que je m’approche à cette +soutenance. Je serai entouré par des collègues et des amis qui me sont chers et +j’aimerais par ces quelques lignes les remercier. +Merci aux trois rapporteurs d’avoir accepté de consacrer leur temps à la lecture +de mon mémoire. Joseph Ayoub a été mon encadrant de postdoc et c’est une figure +centrale de la théorie des motifs. J’ai bénéficié de nombreuses discussions avec lui +et c’est un grand honneur pour moi l’attention qu’il a porté à mes travaux. +J’ai rencontré Anna Cadoret pendant ma thèse à l’occasion d’un groupe de travail +organisé par son ANR. J’ai le souvenir d’une atmosphère détendue et ouverte vers +les jeunes, comme il arrive rarement dans notre métier (atmosphère que l’on a +essayé de reproduire avec la RéGA, puis le JAVA). J’ai toujours aimé l’originalité +des questions qu’elle sait se poser et je me réjouis de ses appréciations à ce mémoire. +François Charles était 2 ans avant moi à l’ENS, il a représenté pour plusieurs +d’entre nous une référence. J’ai toujours été impressionné par ses fortes intuitions et +je le remercie pour les échanges que l’on a eu et pour son intérêt pour mes résultats. +Rutger Noot a été rapporteur de ma thèse et m’a beaucoup encouragé après : +je lui en suis reconnaissant. Depuis que je suis à Strasbourg, j’ai pu profiter de +sa culture mathématique à plusieurs reprises. C’était pour moi le choix naturel de +garant et je le remercie d’avoir accepté. +Il n’y a probablement aucune section de ce mémoire où le nom d’Yves André +n’apparaisse pas. Bien que j’essaie constamment d’élargir mes intérêts et m’ouvrir +à de nouveaux domaines, je finis toujours par y découvrir un théorème fondamental +qui lui est dû. Sa présence dans mon jury est un honneur pour moi. +J’ai suivi un cours de Jean-Benoît Bost en M2 : sa clarté et sa vision sont devenues +une référence pour moi. Je le remercie pour son soutien depuis cette époque ; c’est +un plaisir pour moi de l’avoir dans mon jury d’Habilitation. +Les déjeuners à la cantine sont souvent enrichis par les digressions mathématiques +(toujours passionnées) de Carlo Gasbarri. Je le remercie pour celles que l’on a eu, +celles que l’on aura et d’avoir accepté de faire partie du jury. +Je remercie Emiliano Ambrosi, Pierre Baumann, Mattia Cavicchi, Frédéric Cha- +poton, Dragos Fratila, Florence Lecomte et Rutger Noot pour leurs relectures aux +premières versions de ce texte. +Certains des résultats présentés ici sont issus de collaborations avec des ma- +thématiciens qui m’ont beaucoup appris. Je les remercie tous ici, à partir de ma +première collaboratrice, Annette Huber, avec laquelle nous continuons à beaucoup +échanger, jusqu’au plus jeune, Mattia Cavicchi, mathématicien doué à qui je sou- +haite tout le meilleur pour ses débuts de carrière. +Mes recherches mathématiques n’auraient pas pu avoir lieu sans les échanges, les +conseils et les remarques de mes chers amis mathématiciens Olivier Benoist, Yohan +Brunebarbe, Javier Fresán et Marco Maculan. + +4 +GIUSEPPE ANCONA +Quand je repense à mon passé mathématique je dois remercier mon directeur de +thèse Jörg Wildeshaus, ainsi que Frédéric Déglise qui était chercheur à Paris 13 à +l’époque de ma thèse et qui m’a beaucoup appris. +Pendant ces années à l’IRMA j’ai eu le plaisir de discuter de mathématiques +avec de nombreux collègues, tant dans mon équipe que dans les autres. Je pense +en particulier à Emilano Ambrosi, Dragos Fratila, Robert Laterveer, Yohann Le +Floch, Adriano Marmora, Pierre Py et Ana Rechtman. +L’ambiance au laboratoire est bonne, j’ai échangé avec à peu près tout le monde +à l’occasion d’enseignements, conseils ou autre et j’ai souvent trouvé de l’empathie +et de la bienveillance. Chers collègues qui lisez ces lignes, je vous en remercie ! +Le travail d’enseignant-chercheur a besoin d’un soutien administratif et technique +considérable. Nous sommes gâté de ce point de vue-là à Strasbourg : je remercie en +particulier Alexandra Carminati, Sandrine Cerdan, Pascale Igot, Delphine Karles- +kind, Jessica Maurer-Spoerk, Alexis Palaticky et Alain Sartout. +Je suis ému par la présence de plusieurs amis et collègues qui n’habitent pas +à Strasbourg et qui ont fait de la route pour venir voir ma soutenance : Javier, +Mattia, Olivier, Quentin et Yohan, merci ! Je suis également touché par la présence +d’amis qui ont décidé de passer une heure de leur vie à me voir délirer devant des +tableaux bleus : Joanne, Cédric, François... cela me touche beaucoup. +Enfin, merci à tout ce qui est non-mathématique dans ma vie et qui la rend si +heureuse. Je pense aux amis du tango de la belle association Hermosa : merci pour +la bonne ambiance des milongas. Je pense aux amis du foot du terrain 5 : merci +pour les matchs intenses et pour les après-matchs encore plus intenses. Je pense +aux jogging avec Gianluca (accompagnés toujours de questionnements et conseils +réciproques). Je pense aux jeunes parents avec lesquels on partage les apéros où +l’on ne peut jamais terminer nos phrases ainsi que les fêtes regrettées le lendemain. +Et évidemment je pense à ma famille pétillante. Merci à toutes les générations de la +Nonna Michelina qui me chantait l’opéra pendant qu’elle préparait ses pâtes jusqu’à +mes filles qui sautent toujours à mon cou. Merci à Anna qui a toujours envie de me +voir donner un exposé et toujours la joie de le célébrer. Merci à ma mère qui nous +a préparé un super pot (vous verrez...), à mon père qui me parlait de sciences en +voiture pendant qu’il m’accompagnait au judo, à mes frères et à notre chambre à +trois où on pratiquait tout sport possible, à la famille de Maglie qui nous a toujours +accompagné avec amour et à ma belle famille avec qui on partage voyages, bonnes +bouffes et discussions sur le monde. + +A Anna, compagna di viaggio. +A Camilla e Gaia, il nostro viaggio. + + +MÉMOIRE HDR +7 +0. Introduction +Le protagoniste de ce mémoire est un morphisme d’anneaux gradués 1 appelé +application classe de cycle +clX : CH(X) −→ H(X). +Ici X est une variété projective et lisse définie sur un corps k, H est une cohomologie +de Weil 2 et CH(X) est l’anneau de Chow à coefficients rationnels. Il faut penser +à CH(X) comme un invariant de X de nature algébrique et à H(X) comme un +invariant de nature topologique : l’application clX compare ces différentes natures. +Les questions autour de clX peuvent se diviser grossièrement en trois classes : +(1) Décrire l’image de clX, +(2) Décrire le noyau de clX, +(3) Décrire la structure multiplicative de clX. +Par exemple, des conjectures qui entrent dans la première classe sont Hodge, +Tate, la conjecture des périodes de Grothendieck, ou encore les conjectures stan- +dard de type Künneth et de type Lefschetz. Dans la deuxième classe on trouve la +conjecture de Bloch–Beilinson ou la conjecture de nilpotence. Certaines conjectures +sont à cheval entre la première et la deuxième classe, par exemple la conjecture de +conservativité ou la conjecture sur la dimension finie de Kimura. Rentrent dans la +troisième classe les conjectures standard de type Hodge et de type « hom = num ». +Pour décomposer l’étude dans ces trois classes on peut d’abord factoriser clX +(comme morphisme d’anneaux) et obtenir le diagramme suivant : +CH(X) +p +�� +clX +�❖ +❖ +❖ +❖ +❖ +❖ +❖ +❖ +❖ +❖ +❖ +CH(X)/ ker clX � � +i +� H(X). +L’anneau quotient CH(X)/ ker clX est également noté CH(X)/ hom et appelé an- +neaux des cycles modulo l’équivalence homologique. +Les questions appartenant à la classe (1) ci-dessus reviennent alors à l’étude de +l’injection i et celles de la classe (2) à la projection p. Pour exprimer la classe (3) +on considère l’équivalence numérique 3 et on complète le diagramme ainsi : +1. La graduation dans CH(X) est induite par la codimension des sous-variétés et la multipli- +cation est appelée produit d’intersection. +2. Par exemple si k = C on pourra choisir la cohomologie singulière ou pour k de caractéristique +p ≥ 0 et ℓ un nombre premier tel que ℓ ̸= p on pourra choisir la cohomologie ℓ-adique. +3. Cette équivalence rend tous les points de la variété équivalents et les cycles de codimension +complémentaire sont mis en dualité par le produit d’intersection. + +8 +GIUSEPPE ANCONA +CH(X) +p +�� +clX +�▼ +▼ +▼ +▼ +▼ +▼ +▼ +▼ +▼ +▼ +CH(X)/ hom� � i +� +q +�� +H(X). +CH(X)/ num +(0.1) +La compréhension de l’algèbre CH(X)/ num et de la projection q encode une bonne +partie des questions de la classe (3) ci-dessus. +Les conjectures principales sur les cycles algébriques s’expriment mieux si on +passe aux motifs. Cela revient, grosso-modo, à considérer le diagramme (0.1) pour +toutes les variétés X à la fois : +CHM(k) +π +�� +R +�▲ +▲ +▲ +▲ +▲ +▲ +▲ +▲ +▲ +▲ +Mot(k)� � +I +� +π′ +�� +GrVect. +NUM(k) +(0.2) +Ici R indique la réalisation des motifs de Chow vers les espaces vectoriels gra- +dués : c’est une collection d’applications classe de cycle. On a de plus des foncteurs +pleins π, π′ de projection vers les motifs homologiques et les motifs numériques et +un foncteur fidèle I des motifs homologiques vers les espaces vectoriels gradués, +également appelé réalisation. +Le théorie des motifs est utile non seulement à la formulation de questions sur +les cycles algébriques mais aussi à la démonstration de résultats sur ces derniers, +voir la Section 1 pour une discussion de ce point. En guise d’exemple, voici une +petite liste de résultats - certains issus de mes travaux - où l’on remarquera que +les motifs n’apparaissent pas dans les énoncés et pourtant sont cruciaux dans leurs +preuves. +Théorème 0.1. +(1) (Kahn [Kah03]) L’application classe de cycle est injective +pour les produits de courbes elliptiques sur un corps fini. +(2) (Kimura [Kim05]) Soit S un surface complexe projective et lisse dominée +par un produit de courbes. Si l’application classe de cycle est surjective alors +elle est injective. +(3) [Anc21] Soit A une variété abélienne de dimension quatre, alors le produit +d’intersection +CH2(A)/num × CH2(A)/num −→ Q + +MÉMOIRE HDR +9 +est de signature (ρ2 − ρ1 + 1; ρ1 − 1), où ρn = dimQ(CHn(A)/num). +(4) [AHPL16] Soient S un schéma de base régulier et G un S-schéma en groupes +commutatifs. Alors l’action du morphisme +nG : G −→ G +de multiplication par n décompose l’espace CH(G) en une somme finie de +sous-espaces propres (de plus les valeurs propres sont des puissances expli- +cites de n et la décomposition ne dépend pas de l’entier n ≥ 2 choisi). +Par sa nature même, la théorie des motifs se mélange aux différentes cohomo- +logies de Weil que l’on peut considérer. Ainsi, en fonction du corps de base k, on +se retrouve à utiliser la théorie de Hodge (k = C), les représentations galoisiennes +(k corps de nombres), l’arithmétique des nombres de Weil (k fini) ou encore de +la théorie de Hodge p-adique (en caractéristique mixte). Cela dégage les aspects +arithmétiques et géométriques de la théorie. +Ces différentes théories cohomologiques ont des analogies, que l’on retrouve dans +les motifs par des théorèmes ou des conjectures, ainsi que des différences, que la +théorie des motifs vise à réparer, voir la Section 2. +On peut distinguer les différents résultats dans le domaine des motifs d’une +part par la partie du diagramme 0.2 que l’on étudie et d’autre part par la nature +géométrique ou arithmétique du corps de base k qui est concerné. Pour aider la +lecture du texte qui suivra, voici une répartition des travaux présentés. +Arithmétique +Géométrie +CHM(k) +§5 [Anc22] +§8 [AEWH15, AHPL16] +Mot(k) +§7 [AF22] +§9 [ACLS22] +NUM(k) +§6 [Anc21] +Organisation du texte. Les premières sections du texte fournissent une intro- +duction partielle à la théorie. Nous avons déjà mentionné que les motifs sont utiles +à l’étude des cycles algébrique et donné le Théorème 0.1 comme exemple, mais +nous n’avons pas dit pourquoi ils sont utiles : c’est le but de la Section 1. La Sec- +tion 2 présente la théorie de Hodge et ses pendants arithmétiques ; on insiste sur +les analogies mais surtout sur les différences. La Section 3 donne des conjectures +sur les cycles algébriques et la Section 4 des exemples de motifs. Ces questions +et ces exemples sont repris dans les sections successives où l’on présente différents +résultats organisés selon le diagramme ci-dessus. Dans la Section 5 on démontre la +conjecture de conservativité pour les motifs provenant de variétés abéliennes défi- +nies sur un corps fini. La Section §6 concerne la conjecture standard de type Hodge +et montre le Théorème 0.1(3). Dans la Section §7 on introduit une nouvelle classe de +périodes p-adiques qui surgit dans l’étude des classes algébriques en caractéristique +mixte. Dans la Section §8 on montre le Théorème 0.1(4) qui nécessite l’utilisation +de techniques motiviques modernes. La Section §9 étudie les classes algébriques de +certaines variétés hyper-kähler qui admettent une fibration lagrangienne. + +10 +GIUSEPPE ANCONA +1. A quoi servent les motifs ? +Dans un article du même titre [Del94a], Deligne expliquait que les motifs n’ont +qu’une utilité essentiellement philosophique permettant de transférer des idées d’une +cohomologie à l’autre, grosso-modo en appliquant le diagramme 0.2 à différentes +cohomologies. Aujourd’hui on comprend que les motifs sont aussi un vrai outil tech- +nique, comme l’avait envisagé Grothendieck. Deligne même revoit sa position dans +son Bourbaki sur les multizétas et explique que les travaux de Brown sont « un des +cas où la philosophie des motifs est non seulement un guide précieux, mais permet +des démonstrations » [Del13]. +J’aimerais expliquer ici l’utilité des motifs notamment dans la théorie des cycles +algébriques : une liste d’énoncés où leur utilisation est cruciale a déjà été donnée +dans le Théorème 0.1. Plusieurs avertissements sont tout de même nécessaires. Pre- +mièrement, je ne prétends pas que cet outil soit l’unique possible, beaucoup de +résultats intéressants sur les anneaux de Chow ont été obtenus par d’autres mé- +thodes. Deuxièmement, à l’heure actuelle les applications les plus impressionnantes +des motifs apparaissent plutôt dans la théorie des périodes [Bro12, Ayo15] - on +peut espérer que les applications majeures de la théorie aux anneaux de Chow sont +encore à venir. +Dans sa construction de la théorie des motifs purs (i.e. pour les variétés propres +et lisses) Grothendieck avait imaginé un pont entre les cycles algébriques et, par +exemple, la cohomologie ℓ-adique. Son idée était que la compréhension des premiers +aurait impliqué ainsi des résultats sur la deuxième, par exemple les conjectures +standard auraient impliqué les conjectures de Weil. En un sens cela semblait la +direction raisonnable : les cycles étaient là depuis plus longtemps (on pourrait dire +depuis le théorème de Bézout) et leur définition pouvait les faire paraître comme +plus accessibles. +On comprend aujourd’hui qu’ils sont plus mystérieux que ce que l’on aurait pu +imaginer. Ceci est devenu flagrant probablement avec le théorème de Mumford +[Mum68] qui montre que le groupe des 0-cycles ne peut pas, en général, être para- +métré par une variété de type fini. En revanche beaucoup de progrès ont été faits +sur la cohomologie. Ce pont maintient donc toute son utilité mais il faut plutôt le +parcourir dans l’autre direction : on essaiera d’exploiter des informations cohomo- +logiques et de les transposer sur les cycles via les motifs. +La question naturelle qui se pose est alors pourquoi l’application classe de cycle +ne serait pas elle-même suffisante pour un tel pont entre anneaux de Chow et +cohomologie? Une réponse courte est que la cohomologie a des propriétés agréables +(Künneth, Poincaré,. . .) que les anneaux de Chow n’ont pas. Les motifs sont une +façon de réorganiser les applications classe de cycle de sorte à ce que l’on ait encore +ces propriétés agréables. +1.1. Motifs purs. Pour expliquer l’idée derrière la construction, prenons la situa- +tion suivante (inspirée par le formalisme tannakien). Soit φ : H → G un morphisme +de groupes et étudions le foncteur induit +f = φ∗ : RepF (G) −→ RepF (H) +(1.1) + +MÉMOIRE HDR +11 +sur les représentations F-linéaires pour F un corps fixé. Supposons avoir à notre +disposition pour cette étude uniquement la collection d’applications +cV : V G −→ V H ⊂ f(V ) +(1.2) +pour chaque V ∈ Rep(G). La donnée de cette collection est certainement moins +agréable que la donnée de f. On peut tout de même retrouver f en remarquant que +son action sur les morphismes est donnée par +cW⊗V ∨ : HomG(V, W) = (W ⊗ V ∨)G −→ (W ⊗ V ∨)H = HomH(V, W). +(1.3) +Cette idée de passer de l’invariant à l’équivariant est l’étape essentielle dans la +construction de Grothendieck des motifs. Dans ce cas pour chaque variété X, V sera +son motif h(X) (objet abstrait de la catégorie en construction), V G sera l’anneau +de Chow CH(X), f(V ) sera la cohomologie singulière (ou ℓ-adique,. . .) H(X), V H +seront les classes de Hodge Hdg(X) (ou les classes Galois invariantes, . . .) et cV +sera l’application classe de cycle clX. En résumant : +V +⇝ +h(X), +V G +⇝ +CH(X), +f(V ) +⇝ +H(X), +V H +⇝ +Hdg(X), +cV +⇝ +clX . +(1.4) +Pour que la construction dans (1.3) soit applicable il faut donner un sens au dual +d’un motif et au produit tensoriel de deux motifs. C’est ici qu’il est nécessaire de +considérer des variétés propres et lisses. En effet la formule de Künneth et la dualité +de Poincaré suggèrent h(X) ⊗ h(Y ) = h(X × Y ) et h(X)∨ = h(X) (à un twist de +Tate près). L’espace Hom(h(X), h(Y )) sera alors contrôlé 4 par CH(X × Y ). +Une fois que la construction de cette catégorie est faite on pourra imaginer - +et essayer de démontrer - des analogies entre H(X) et h(X) qui ne seraient pas +raisonnables avec CH(X) pour ensuite déduire des informations sur les anneaux +de Chow en passant aux Hom dans la catégorie. Par exemple on pourra imaginer +que H(X) et h(X) ont « la même dimension », ce qui ne peut pas avoir lieu avec +CH(X) - voir l’analogie (1.1). Cette idée est à la base de la notion de dimension +dans les motifs due à Kimura et O’Sullivan qui est l’ingrédient essentiel dans la +preuve du Théorème 0.1(1) et joue également un rôle dans les parties (2) et (4) du +même théorème. +1.2. Motifs mixtes. La théorie a beaucoup évoluée depuis ses fondations. Comme +la théorie de Hodge, qui a évolué d’abord avec les structures de Hodge mixtes as- +sociées à des variétés qui ne sont pas forcément projectives ou lisses, pour arriver +jusqu’aux modules de Hodge mixtes qui visent à étudier des familles de variétés +sur des bases générales, également la théorie des motifs a eu une accélération si- +gnificative avec la catégorie triangulée des motifs mixtes de Voevodsky jusqu’aux +motifs relatifs sur une base générale [Ayo07, CD19]. Ces catégories sont liées par le +formalisme des six foncteurs, tout comme les modules de Hodge mixtes. De plus, +certains Hom dans ces catégories permettent de retrouver les anneaux de Chow. +4. Pour les variétés générales qui ne sont pas projectives et lisses l’argument ci-dessus suggère +qu’il n’est pas raisonnable d’espérer un lien entre Hom(h(X), h(Y )) et des anneaux de Chow. Ef- +fectivement dans les motifs de Voevodsky ces Hom n’ont pas d’interprétation en terme d’invariants +classiques, voir aussi la Remarque 8.7(4). + +12 +GIUSEPPE ANCONA +On dispose également de foncteurs de réalisation, par exemple vers les faisceaux +constructibles, qui permettent de retrouver les applications classes de cycles. +Tout comme dans le cas des variétés projectives et lisses expliqué plus haut, ces +catégories ont l’avantage d’avoir des analogies avec les catégories cohomologiques. +Par exemple on dispose d’une filtration de poids sur les motifs tout comme en théo- +rie de Hodge mixte [Bon10]. (Une telle structure n’a pas de bons analogues dans +les anneaux de Chow : par exemple un ouvert d’un espace affine a un anneau de +Chow trivial alors que la filtration de poids en cohomologie peut être non triviale.) +Un autre exemple est le résultat suivant d’Ayoub [Ayo14, Proposition 3.24] : une +application f entre motifs au-dessus d’une base S est un isomorphisme si et seule- +ment si la restriction de f en tout point de S l’est. Cet énoncé est bien entendu +inspiré de son pendant pour les faisceaux constructibles ou étales. +Ces nouvelles catégories présentent un deuxième avantage : on dispose main- +tenant de beaucoup plus de flexibilité, analogue à celle permise par les modules +de Hodge mixtes. Par exemple, si on veut étudier l’anneau de Chow d’une variété +projective et lisse X, on pourrait avoir envie de stratifier X et d’étudier chaque +strate, ou de fibrer X au-dessus d’une base et d’étudier comment les fibres varient. +Ce genre de construction mène très souvent à des variétés qui ne sont pas lisses et +pour lesquelles les anneaux de Chow et leur fonctorialité ne sont pas définis : ces +catégories de motifs permettent, entre autre, de contourner ce problème. +Ces techniques ont permis la construction de certains cycles « concrets », par +exemple certains cycles prédits par la conjecture de Hodge joint au théorème de +décomposition, qui étaient inaccessible par des méthodes directes. Notamment cela +a été appliqué aux variétés de Shimura [Wil17], aux fibrés en quadriques [CDN22] +et aux variétés hyper-kähler qui admettent une fibration lagrangienne [ACLS22]. +1.3. Complexes motiviques. Une troisième raison pour laquelle les motifs sont +utiles à l’étude des cycles algébriques vient de leur définition moderne (depuis Voe- +vodsky). Dans la théorie de Grothendieck les motifs sont des symboles formels et +leur lien avec les cycles algébriques a lieu par construction. Dans les catégories mo- +dernes les motifs sont des complexes de faisceaux et il est possible d’en construire +un certain nombre explicitement. Leur lien avec les cycles algébriques est loin d’être +une tautologie et c’est en fait un des résultats plus profond de la théorie. On peut +alors espérer que certaines questions délicates sur les cycles algébriques puissent +devenir concrètes dans leur pendant faisceautique. C’est ce qui se passe notam- +ment dans la construction de la réalisation de Betti [Ayo10] ou dans la preuve du +Théorème 0.1(4), voir Section 8. +2. Cohomologies de Weil +Dans cette section on rappelle la définition classique de structure de Hodge +(Définition 2.1) ainsi qu’une formulation équivalente qui se prête à mieux décrire les +propriétés de positivité (Définition 2.2). Le but principal de la section est de rappeler +ces propriétés de positivité ainsi que des propriétés d’autodualité des structures de +Hodge puis de montrer que leurs analogues en cohomologie ℓ-adique sont faux en +général (Remarque 2.16 et Exemple 2.17). La définition de polarisation est cruciale, +on essaie de la justifier dans la Remarque 2.12. + +MÉMOIRE HDR +13 +D’autres différences entre la théorie de Hodge et ses analogues arithmétiques +sont éparpillées un peu partout dans le texte, voir par exemple la Conjecture 3.18 +ou la Remarque 6.9. +Définition 2.1. (Structure de Hodge, définition classique.) Une structure de Hodge +pure de poids n ∈ Z est la donnée d’un Q-espace vectoriel de dimension finie V +muni d’une décomposition +V ⊗Q C = +� +p+q=n +p,q∈Z +V p,q +(2.1) +vérifiant V p,q = V q,p. +Si on considère les espaces V {p,q} = V ⊗QR∩(V p,q +V q,p) on trouve la définition +équivalente suivante. +Définition 2.2. (Structure de Hodge, définition équivalente.) Une structure de +Hodge pure de poids n ∈ Z est un triplet formé d’un Q-espace vectoriel de dimension +finie V , d’une décomposition +V ⊗Q R = +� +p≤q +p+q=n +p,q∈Z +V {p,q} +(2.2) +en sous-espace réels et d’une structure complexe sur les espaces V {p,q} pour p ̸= q. +Les paires (p, q) qui apparaissent dans la décomposition sont appelées les types +de V . +Remarque 2.3. (Lien entre les définitions.) Les deux présentations ci-dessus sont +bien équivalentes. On remarque que, pour p < q, l’ espace V {p,q} ⊗ C est muni de +deux structures complexes, par conséquent on a une décomposition +V {p,q} ⊗ C = V p,q ⊕ V q,p, +où V p,q est l’espace où les structures coïncident et V q,p est l’espace où elles sont +conjuguées 5. +La Définition 2.2 est plus pratique pour exprimer des propriétés de positivité 6, +voir par exemple Définition 2.6. +Exemple 2.4. +(1) (Cohomologie singulière.) Si X est une variété projective et +lisse sur les nombres complexes sa cohomologie singulière est munie d’une +5. On pourrait inverser le rôle de ces deux espaces, dans ce cas il faudrait changer les signes +dans la Définition 2.9 pour avoir les mêmes conventions de signe classiques. +6. En revanche la structure tensorielle s’exprime mieux avec la Définition 2.1, par la règle +(V ⊗ W )p,q = +� +a+c=p +b+d=q +V a,b ⊗ W c,d. +Dans le cas réel on remarque que V {a,b} ⊗ W {c,d} a deux structures complexes quand a < b +et c < d. Ceci induit une décomposition en deux espaces comme précédemment, celui où les +structures coïncident contribue à (V ⊗ W )a+c,b+d et l’autre à (V ⊗ W )m,M où m et M sont le +minimum et le maximum de la paire {a + d, b + c}. + +14 +GIUSEPPE ANCONA +structure de Hodge fonctorielle en X, plus précisément Hn(X) est pure de +poids n. Tous les théorèmes que l’on peut imaginer (Poincaré, Künneth, +Lefschetz,. . .) respectent cette structure supplémentaire. +(2) (Variétés abéliennes.) Dans le cas particulier d’une variété abélienne com- +plexe A dont la variété analytique sous-jacente est Cg/Λ on a H1(A)⊗R = +Λ⊗R = Cg, ce qui fait apparaître explicitement la structure complexe dans +la Définition 2.2 de l’espace H1(A) ⊗ R. +(3) (Twist de Tate.) En poids 2n il existe une seule structure de Hodge de +dimension 1 à isomorphisme non unique près. On fixe une telle structure +de Hodge et on la note Q(−n). Pour une structure de Hodge V on note +V (−n) = V ⊗ Q(−n) et on l’appelle twist de Tate ; on choisit les Q(−n) de +sorte à avoir l’identification Q(a) ⊗ Q(b) = Q(a + b). +Traditionnellement on choisit Q(n) = (2iπ)nQ ⊂ C, puisque c’est la +structure de Hodge qui apparaît naturellement dans la cohomologie sin- +gulière de degré maximale. Ce choix particulier ne joue pas de rôle dans +les constructions qui suivront, sauf pour la notion de polarisation, voir Re- +marque 2.7(1). +Remarque 2.5. (Autodualité.) Une structure de Hodge n’est pas, en général, au- +toduale dans le sens où V et V ∨ ne sont pas en général isomorphes, même à un +twist près (le seul twist pour lequel cette autodualité est raisonnable étant le poids). +Par exemple prenons une structure de Hodge de poids 0 et supposons que la +décomposition (2.2) ait deux facteurs non nuls V ⊗Q R = V {0,0} ⊕ V {−1,+1}. Sup- +posons de plus que V {0,0} soit compatible avec la structure rationnelle et V {−1,+1} +ne le soit pas, c’est-à-dire que l’on ait l’égalité dimQ(V {0,0}∩V ) = dimR V {0,0} mais +dimQ(V {−1,+1} ∩ V ) < dimR V {−1,+1}. +Si V était autodual on aurait en particulier une forme bilinéaire sur V pour +laquelle V {0,0} et V {−1,+1} seraient l’orthogonal l’un de l’autre. Or comme une telle +forme bilinéaire serait définie sur Q, l’espace V {−1,+1} serait forcé à être également +compatible avec la structure rationnelle. +Il se trouve que toutes les structures de Hodge provenant de la géométrie algé- +brique sont autoduales. En fait même plus, elles sont munies d’une forme bilinéaire +« aussi définie que possible », c’est l’objet de la définition de polarisation, rappelée +ci-dessous. +Définition 2.6. (Polarisation - poids pair.) Une polarisation sur une structure de +Hodge V pure de poids 2n est une forme bilinéaire symétrique b sur le Q-espace +vectoriel V telle que : +(1) Les espaces V {p,q} sont orthogonaux deux à deux par rapport à b, +(2) L’adjointe par rapport à b de la structure complexe sur V {p,q} est sa conju- +guée, +(3) La restriction de b aux facteurs V {n−a,n+a} est définie (−1)a-positive 7. +7. C’est-à-dire définie positive si a est pair et définie négative si a est impair. + +MÉMOIRE HDR +15 +Remarque 2.7. +(1) Les deux premières propriétés de la dé���nition sont équi- +valentes à l’existence d’un morphisme de structures de Hodge +b : V ⊗ V −→ Q(−2n). +Inversement, étant donné un tel b il est nécessaire de choisir une identi- +fication Q(−2n) ⊗Q R ∼= R pour pouvoir exprimer la dernière propriété (de +positivité). L’Exemple 2.4(3) fixe un tel choix. +(2) Dans le cas V = H2n(X) on déduit qu’une polarisation est définie positive +sur les classes algébriques, car elle l’est sur V {n,n}. C’est utile de connaître +les signes sur les autres facteurs même pour la compréhension des classes +algébriques, voir l’Exemple 4.9 et la Section 6. +(3) Une polarisation est automatiquement non dégénérée donc les structures de +Hodge qui la possèdent sont autoduales. D’autre part il y a des structures +de Hodge autoduales, même simples, qui n’admettent pas de polarisation, +voir l’Exemple 2.8. Autrement dit la polarisabilité est une notion plus forte +que l’autodualité. +Exemple 2.8. (Autodualité vs polarisation.) Construisons une structure de Hodge +simple et autoduale qui n’admet pas de polarisation. Soit A une variété abélienne +complexe de dimension 4 et très générale. Alors la partie primitive V = H4,prim(A) +est une structure de Hodge simple, de type (0, 4), (1, 3) et (2, 2) et polarisable (par +le Corollaire 2.14). Définissons une nouvelle structure de Hodge W où le Q-espace +vectoriel est le même que V , ainsi que la décomposition, mais on inverse le rôle de +la partie (0, 4) avec la partie (1, 3), c’est-à-dire +W {0,4} = V {1,3}, +W {1,3} = V {0,4} +et +W {2,2} = V {2,2}. +On prétend que W satisfait aux propriétés requises. Premièrement remarquons +qu’une polarisation sur V induit un accouplement b sur W qui rend W autoduale. +D’autre part ce b ne peut pas être une polarisation car les signes de la Définition +2.6 ne sont pas respectés. Il reste à montrer que W n’admet pas de polarisation et +pour cela il suffit de voir que b est l’unique accouplement sur W à scalaire près et +donc que EndHS(W) = Q · Id . Or, par construction, on a EndHS(W) = EndHS(V ). +Pour comprendre les endomorphismes de V , on prend le point de vue tannakien. +Le groupe tannakien associé à H1(A) est GSp8 et la représentation sous-jacente à +H4,prim(A) ⊂ H1(A)⊗4 est géométriquement irréductible, donc EndHS(V ) = Q · Id . +Nous rappelons ci-dessous la définition de polarisation dans le cas de poids im- +pair, elle est un peu moins agréable. Même si on s’intéresse seulement aux classes +algébriques les groupes de cohomologie de degré impair peuvent être utiles (par +exemple la cohomologie d’une variété abélienne A est contrôlée par son H1) mais +il est souvent suffisant de se rappeler uniquement que la définition de polarisation +est stable par produit tensoriel (et donc une polarisation sur H1(A) en induira une +sur Hn(A) via Hn(A) = ΛnH1(A)). +Définition 2.9. (Polarisation - poids impair.) Une polarisation sur une structure +de Hodge V pure de poids 2n+1 est une forme bilinéaire alternée b sur le Q-espace +vectoriel V telle que : +(1) Les espaces V {p,q} soient orthogonaux entre eux par rapport à b, + +16 +GIUSEPPE ANCONA +(2) L’adjointe par rapport à b de la structure complexe sur V {p,q} est sa conju- +guée, +(3) La forme bilinéaire symétrique b(·, i·) est définie (−1)a-positive sur les fac- +teurs V {n−a,n+1+a}. +Remarque 2.10. +(1) La Remarque 2.7 s’applique également dans ce cas. +(2) On pourrait vouloir travailler avec b(i·, ·) à la place de b(·, i·), dans ce cas +les signes s’inverserait. On trouve plus agréable d’avoir de la positivité sur +la « partie centrale » V {n,n+1}, c’est analogue à ce qui se passe dans la +Définition 2.6 avec la partie centrale V {n,n}. +Exemple 2.11. (Polarisations issues de la géométrie.) Soit X une variété algé- +brique complexe de dimension dX. D’une part la dualité de Poincaré fournit une +identification Hn(X) = H2dX−n(X)∨(−dX). D’autre part, le théorème de Lefschetz +difficile donne un isomorphisme Hn(X) ∼= H2dX−n(X)(dX −n), au moyen du choix +d’une section hyperplane L. En combinant les deux on obtient une forme bilinéaire +non-dégénérée +bL : Hn(X) ⊗ Hn(X) −→ Q(−2n). +Celle-ci est bien un morphisme de structure de Hodge, mais elle n’a pas les signes +demandés par une polarisation. Pour les obtenir, il faut modifier les signes de cer- +tains facteurs de la décomposition de Lefschetz. +Par exemple écrivons la décomposition de Lefschetz en degré six +H6 = H6,prim ⊕ H4,prim(−1) ⊕ H2,prim(−2) ⊕ H0,prim(−3), +elle est orthogonale par rapport à l’accouplement bL ci-dessus. La décomposition +de Hodge de chacune de ces quatre structures de Hodge est encore orthogonale; la +signature de bL est la suivante (où les cases vides sont pour les sous-espaces qui +sont toujours réduits à zéro). +signes bL +H6,prim +H4,prim(−1) +H2,prim(−2) +H0,prim(−3) +(3, 3) +- ++ +- ++ +(2, 4) ++ +- ++ +(1, 5) +- ++ +(0, 6) ++ +Pour obtenir une polarisation il faudra donc changer le signe sur les facteurs +H6,prim et H2,prim(−2). +Remarque 2.12. (Pourquoi la définition de polarisation?) Considérons le change- +ment de signe expliqué dans l’exemple ci-dessus. Il serait tentant, à première vue, +de changer encore de signe, cette fois-ci par rapport à la décomposition en V {p,q}, +de sorte à avoir une forme quadratique définie positive dans la Définition 2.6. Le +problème est que cette deuxième décomposition n’est pas en général définie sur Q +et donc ce changement de signes donnerait une forme bilinéaire qui n’est pas définie +sur Q. +De manière générale, pour les structures de Hodge provenant de la géométrie, +on ne peut pas espérer avoir une forme quadratique qui soit à la fois définie sur +Q, compatible avec la décomposition de Hodge et définie positive, voir l’Exemple +2.15. Il faut alors imaginer la Définition 2.6 comme la meilleure approximation d’un + +MÉMOIRE HDR +17 +produit scalaire qui puisse exister pour les structures de Hodge issues des variétés +algébriques. D’ailleurs la proposition ci-dessous montre que la polarisation a toutes +les conséquences que l’on aimerait déduire d’un produit scalaire. +Proposition 2.13. Soient V une structure de Hodge, b une polarisation sur V +et W ⊂ V une sous-structure de Hodge. Alors la restriction de b à W est une +polarisation. De plus l’orthogonal W ⊥ ⊂ V de W par rapport à b est une sous- +structure de Hodge et on a l’égalité de structures de Hodge V = W ⊕ W ⊥. +Corollaire 2.14. Soit X une variété complexe projective et lisse. Alors tout sous- +structure de Hodge de la cohomologie singulière de X est polarisable. +Exemple 2.15. (Polarisations vs produits scalaires.) Construisons une structure +de Hodge V de poids zéro et d’origine géométrique telle que HomHS(V ⊗ V, Q(0)) +ne contient pas une forme quadratique définie positive. +Soit E une courbe elliptique non CM et considérons H1(E). On a une décom- +position de structures de Hodge H1(E) ⊗ H1(E)∨ = Q(0) ⊕ V , où V a dimension +3 et types (0, 0) et (−1, 1). +On prétend que HomHS(V, V ∨) = HomHS(V ⊗V, Q(0)) est un Q-espace vectoriel +de dimension 1. Pour le montrer on prend le point de vue tannakien. On peut voir +que le groupe tannakien associé à H1(E) est GL2 et que H1(E) est la représenta- +tion standard. Le groupe GL2 agit sur V et on a l’identification HomHS(V, V ∨) = +HomGL2(V, V ∨). D’autre part, la théorie classique des représentations nous dit que +V est géométriquement irréductible et donc que HomGL2(V, V ∨) est un Q-espace +vectoriel de dimension (au plus) 1. +D’autre part l’espace HomHS(V ⊗V, Q(0)) contient une polarisation, par le Corol- +laire 2.14, et donc cet espace est formé uniquement de multiples d’une polarisation. +En particulier HomHS(V ⊗ V, Q(0)) ne peut pas contenir une forme quadratique +définie positive. +On peut aussi en déduire que H2(E × E) n’admet pas une forme quadratique +définie positive qui respecte la structure de Hodge car V (−1) en est un facteur +direct. +Le reste de la section insiste sur les différences entre théorie de Hodge et cohomo- +logie ℓ-adique, au regard notamment de la notion de polarisation et des propriétés +d’autodualité. +Remarque 2.16. (Polarisations en cohomologie ℓ-adique?) La proposition ci-dessus +dit en particulier que les structures de Hodge issues de la géométrie algébrique +forment une catégorie semi-simple et que chaque objet est autodual à un twist +près. C’est une grande différence avec la cohomologie ℓ-adique : la semi-simplicité +est seulement conjecturale et l’autodualité est fausse en général, voir l’Exemple +2.17. +La notion même de polarisation n’a pas d’analogue : on ne peut même pas +formuler des propriétés de positivité analogues à celles de la Définition 2.6 pour la +simple raison que la notion de positif n’a pas de sens dans Qℓ. +On peut construire des accouplements sur la cohomologie ℓ-adique de la même +façon qu’en théorie de Hodge, comme dans l’Exemple 2.11. On ne connait pas +de formulation, même conjecturale, qui décrirait cette Qℓ-forme quadratique. Par + +18 +GIUSEPPE ANCONA +ailleurs les invariants d’une telle forme quadratique, comme son symbole de Hilbert, +ne contrôlent pas ceux des sous-formes quadratiques (contrairement à ce qui se passe +avec la signature). Ceci suggère que même si on trouvait une propriété analogue à +la Définition 2.6 pour les groupes de cohomologies Hn +ℓ (X) elle pourrait ne pas être +valable pour les facteurs directs de Hn +ℓ (X). +Exemple 2.17. (Non autodualité en cohomologie ℓ-adique.) Soient k un corps de +type fini et E une courbe elliptique définie sur k telle que End(E)⊗Q soit un corps +quadratique imaginaire. Prenons un nombre premier ℓ différent de la caractéristique +de k et tel que End(E) ⊗ Qℓ = Qℓ ⊕ Qℓ. Alors l’action de End(E) ⊗ Qℓ donne une +décomposition de représentations galoisiennes H1 +ℓ (E) = V ⊕ W. Le cup-produit in- +duit une autodualité sur le H1 +ℓ (E), elle réalise W comme dual de V par la positivité +de Rosati. +D’autre part on prétend que V et W ne sont pas isomorphes comme repré- +sentation de Galois, ce qui impliquera en particulier que V n’est pas autodual. +En effet s’ils étaient isomorphes on aurait EndGal H1 +ℓ (E) = M2×2(Qℓ), or on a +EndGal H1 +ℓ (E) ∼= End(E) ⊗ Qℓ comme prédit par la conjecture de Tate, montrée +dans ce context par Tate, Faltings et Zarhin. +Remarque 2.18. L’exemple ci-dessus dépend du nombre premier ℓ choisi. On s’at- +tend à ce que l’on ne puisse pas trouver une représentation d’origine géométrique, +« indépendante de ℓ » et non autoduale. Cette idée est rendue précise par les motifs, +voir la Conjecture 3.5 et la remarque qui la suit. +3. Conjectures standard et moins standard +Soient k un corps de base et H∗ une cohomologie de Weil. Considérons le dia- +gramme (0.2) qui représente des catégories de motifs : +CHM(k) +π +�� +R +�▲ +▲ +▲ +▲ +▲ +▲ +▲ +▲ +▲ +▲ +Mot(k)� � +I +� +π′ +�� +GrVect. +NUM(k) +on les considère toujours à coefficients rationnels. Pour chaque variété projective +et lisse X, de dimension dX, on considère son motif h(X), on utilisera ce même +symbole dans les différentes catégories, on précisera la catégorie concernée si cela +est important. +Le but de cette section est de donner une collection de conjectures qui permettent +d’avoir une intuition sur les motifs. Ces conjectures sont essentiellement classiques, +hormis la Conjecture 3.5 d’autodualité et la Conjecture 3.7 de positivité qui sont +nouvelles à notre connaissance. +La section est organisée en trois sous-sections. La première présente les conjec- +tures principales de la théorie (qui essentiellement entrainent les autres conjectures). +La deuxième sous-section présente les conjectures dite standard de Grothendieck. +La dernière porte sur la notion de dimension finie de Kimura. + +MÉMOIRE HDR +19 +Avec les techniques actuelles ces conjectures sont hors de portée en toute généra- +lité, mais il est possible en démontrer des cas particuliers, comme on le verra dans +les sections successives. +Conjectures principales. +Conjecture 3.1. (Chow–Künneth.) Il existe une décomposition (non unique) +h(X) = +2dX +� +n=0 +hn(X) +dans la catégorie CHM(k) telle que R(hn(X)) = Hn(X). +Remarque 3.2. +(1) (Non unicité.) Le facteur h0(X) existe toujours. Pour le +construire il suffit de considérer une application constante de X vers X : +elle sera bien l’identité sur le H0(X) et nulle sur les autres groupes. Le +facteur ainsi défini dépend de l’image de cette application constante, ou +plus précisément de sa classe modulo équivalence rationnelle. En particulier +une telle décomposition ne peut pas être unique en général. +(2) (Autodualité.) On peut conjecturer l’existence d’une décomposition de Chow– +Künneth qui ait la propriété supplémentaire d’être autoduale, c’est-à-dire +que si on considère la dualité de Poincaré h(X)∨ = h(X)(dX) alors le fac- +teur hn(X)∨ correspond à h2dX−n(X)(dX). D’un point de vue de cycles +algébriques cela veut dire que les projecteurs pn sont donnés par une collec- +tion de cycles dans X×X telle que σ∗pn = p2d−n, où σ : X×X → X×X est +l’inversion des deux facteurs. Ce n’est pas automatique de construire une +décomposition autoduale à partir d’une décomposition de Chow–Künneth : +même si l’on pose p2d−n = σ∗pn on pourrait avoir que les projecteurs pn et +σ∗pn ne sont pas orthogonaux. +Conjecture 3.3. (Conservativité.) Tous les foncteurs du diagramme (0.2) sont +conservatifs, c’est–à-dire un morphisme entre motifs est en fait un isomorphisme +si son image via un de ces foncteurs du diagramme l’est. +Définition 3.4. On dit qu’un motif est de poids n s’il est facteur direct d’un motif +de la forme hn(X). +Conjecture 3.5. (Autodualité.) Si M est un motif de poids n (toujours à coeffi- +cients rationnels) alors il existe un isomorphisme (non unique) +M ∨ ∼= M(n). +Remarque 3.6. +(1) (Autodualité des motifs vs autodualité en cohomologie.) +Les groupes de cohomologies Hn(X) jouissent de ce type d’autodualité via +la dualité de Poincaré et l’isomorphisme de Lefschetz difficile (qui dépend +du choix d’une section hyperplane), mais en général les facteurs directs +de Hn(X) n’ont pas cette propriété d’autodualité, voir l’Exemple 2.17. +Ceci n’est pas en contradiction avec la conjecture ci-dessus : les exemples +construits ne sont pas la réalisation d’un motif à coefficients rationnels. + +20 +GIUSEPPE ANCONA +(2) (Lien avec les conjectures classiques.) Cette conjecture est nouvelle à notre +connaissance. Nous trouvons sa formulation naturelle et elle nous a guidé +dans l’étude de la conjecture de conservativité, voir la Section 5. Elle suit par +ailleurs de conjectures classiques de positivité (notamment la Conjecture +3.15 que l’on verra plus loin), de la même manière que l’autodualité pour +les structures de Hodge suit des propriétés de positivité des polarisations, +voir la Proposition 2.13 et la remarque qui la suit. +Conjecture 3.7. (Positivité.) Supposons que le corps de base k soit de caractéris- +tique p. Soient M un motif homologique sur k et +q : Sym2 M → +1 +un morphisme dans Mot(k). Supposons que q soit la réduction modulo p d’une +application �q : Sym2 � +M → +1 définie en caractéristique zéro. Définissons qZ comme +la restriction de q à toutes les classes algébriques Z(M) = Hom(1, M) de M et qB +comme la réalisation singulière de �q. +Supposons que qB soit une polarisation. Alors qZ est définie positive. +Remarque 3.8. +(1) (Sur la relevabilité.) L’hypothèse de relevabilité à la ca- +ractéristique zéro est vérifiée dans des cas intéressants, par exemple les +variétés abéliennes. Dans ce cas, les classes algébriques qui se relèvent à +la caractéristique zéro vérifient automatiquement la conjecture, voir la Re- +marque 2.7. Soulignons tout de même qu’il y a en général des classes algé- +briques qui ne sont pas relevables, même dans le cas des variétés abéliennes. +(2) (Lien avec les conjecture classique.) Cette conjecture est nouvelle et nous ne +savons pas si elle peut se déduire de conjectures classiques. Nous trouvons +sa formulation naturelle et elle nous a guidé dans l’étude de la conjecture +standard de type Hodge, voir la Section 6. +Conjectures standard. +Conjecture 3.9. (Künneth.) Dans la catégorie Mot(k) des motifs homologiques, +il existe une décomposition +h(X) = +2dX +� +n=0 +hn(X) +telle que la réalisation de hn(X) soit Hn(X). +Remarque 3.10. (Lien avec Chow–Künneth.) Cette conjecture est bien sûr une +conséquence de la Conjecture 3.1. +Remarquons qu’une décomposition de Künneth est automatiquement unique et +autoduale par définition d’équivalence homologique : il s’agit de la graduation de +GrVect et de la dualité de Poincaré en cohomologie. C’est une différence avec la +décomposition de Chow–Künneth, voir la Remarque 3.2. +Conjecture 3.11. (Lefschetz.) Soient dX la dimension de X et L une section +hyperplane de X. Alors pour tout n ≤ dX il existe une correspondance γn dans +X × X dont la réalisation en degré dX + n induit un isomorphisme +R(γn) : HdX+n(X) +∼ +−−→ HdX−n(X)(−n) + +MÉMOIRE HDR +21 +qui est l’inverse du cup produit par Ln. +Remarque 3.12. (Lien avec l’autodualité.) La Conjecture standard de type Les- +chetz 3.11 implique la Conjecture standard de type Künneth 3.9, c’est un argument +classique de Kleiman [Kle68]. +Inversement, si X vérifie Künneth alors la conjecture de type Lefschetz est équi- +valente à l’autodualité hn(X)∨ ∼= hn(X)(n) du motif homologique hn(X). Cette +équivalence se déduit de la Proposition 4.5. Elle montre en particulier que la conjec- +ture de type Lefschetz ne dépend pas de la section hyperplane L choisie et elle suit +de la Conjecture d’autodualité 3.5. +Conjecture 3.13. (hom = num.) Le foncteur π′ est une équivalence. +La quatrième et dernière des conjectures standard est celle de type Hodge. Pour +la formuler il est nécessaire d’introduire la proposition suivante. +Proposition 3.14. (cf. [Anc21, §3]) Supposons que X vérifie la conjecture stan- +dard de type Lefschetz (Conjecture 3.11). Choisissons une section hyperplane L. +Alors le motif homologique hn(X) admet une décomposition en parties primitives +et il est possible de construire un accouplement +qX,n,L : hn(X) ⊗ hn(X) → Q(−n) +de façon analogue à la construction d’une polarisation sur la cohomologie singulière +d’une variété algébrique complexe 8, voir l’Exemple 2.11. +De plus, si on restreint l’accouplement +qX,2n,L(2n) : h2n(X)(n) ⊗ h2n(X)(n) → Q +aux classes algébriques Zn(X)/ hom = HomMot(k)(1, h2n(X)(n)) on obtient une Q- +forme quadratique +qZ,hom : Zn(X)/ hom ⊗ Zn(X)/ hom → Q +dont le noyau est formé exactement par les cycles numériquement triviaux 9. En +particulier qZ,hom induit une forme quadratique sur les cycles modulo équivalence +numérique +qZ : Zn(X)/ num ⊗ Zn(X)/ num → Q +qui est non dégénérée. +Conjecture 3.15. (Conjecture standard de type Hodge.) La forme quadratique +qZ : Zn(X)/ num ⊗ Zn(X)/ num → Q +introduite ci-dessus est définie positive. +Remarque 3.16. (Lien avec la conjecture de positivité.) La conjecture standard +de type Hodge (Conjecture 3.15) ne demande pas la relevabilité de X à la caracté- +ristique zéro et en ce sens elle est plus générale que la Conjecture de positivité 3.7. +D’autre part pour les variétés relevables la Conjecture 3.7 est plus générale que la +8. En particulier, si k = C et H∗ est la cohomologie singulière, R(qX,n,L) est la polarisation +classique induite par L. +9. Autrement dit, la conjecture hom = num pour X est équivalente à dire que qZ,hom est non +dégénérée. + +22 +GIUSEPPE ANCONA +conjecture standard de type Hodge, car elle s’applique à des polarisations abstraites +qui ne seraient pas forcément celles provenant d’une section hyperplane. +Remarque 3.17. (Positivité en caractéristique zéro.) En caractéristique zéro, la +forme quadratique introduite ci-dessus qZ : Zn(X)/ hom ⊗ Zn(X)/ hom → Q est +définie positive : c’est une conséquence des propriétés de positivité d’une polari- +sation (dites relations de Hodge–Riemann), voir Remarque 2.7. En particulier, en +caractéristique zéro, la conjecture standard de type Lefschetz implique les autres +conjectures standard. +Une autre différence entre la caractéristique zéro et la caractéristique positive se +trouve dans la conjecture suivante. +Conjecture 3.18. Considérons l’application classe de cycle ℓ-adique clX : CH(X) → +Hℓ(X). Alors le Q-espace vectoriel Im clX est de dimension finie. Plus précisément +l’application canonique Im clX ⊗QQℓ → Hℓ(X) est injective. +Remarque 3.19. Cette conjecture est une conséquence de la conjecture hom = +num car l’équivalence numérique commute à l’extension des scalaires. En carac- +téristique zéro elle est connue : on utilise les théorèmes de comparaison pour se +reporter à la cohomologie singulière. +Motifs de dimension finie. +Conjecture 3.20. (Dimension finie.) Tout motif de Chow M admet une décom- +position (non unique) +M = M+ ⊕ M− +vérifiant ΛNM+ = 0 et SymN M− = 0 pour un naturel N assez grand. +Remarque 3.21. +(1) (Lien avec les autres conjectures.) Supposons que M = +h(X) admet une décomposition de Chow–Künneth (Conjecture 3.1). Alors +M+ = +� +h2n(X) +et +M− = +� +h2n+1(X) +devraient vérifier la conjecture ci-dessus. En effet la conservativité (Conjec- +ture 3.3) prédit qu’il suffit de vérifier ces relations en cohomologie, or la réa- +lisation de M+ est un espace vectoriel gradué de dimension finie concentré +en degrés pairs, par conséquence toute puissance N-ème extérieure l’annule +dès que N est plus grand que la dimension totale. +Le raisonnement est analogue pour M−. On remarque que la réalisation +est concentrée en degré impair et que, par la règle des signes de Koszul, une +puissance symétrique sur un motif ou une variété devient une puissance +extérieure sur les groupes de cohomologie. +(2) (Applications.) Au delà d’être une conjecture naturelle, la notion de di- +mension finie s’est avéré être utile : elle est stable par plusieurs opérations, +dont le produit tensoriel et le passage à un facteur direct, elle est vérifiée au +moins par les courbes, et elle permet de déduire la conservativité pour tous +les foncteurs tensoriels quotient (notamment π et π′ de (0.2)). Cela a permis +à Kimura de déduire la conjecture de Bloch pour les surfaces dominées par + +MÉMOIRE HDR +23 +un produit de courbes [Kim05], voir le Théorème 0.1(1). En appliquant ces +propriétés de conservativité au Frobenius, Kahn a déduit que l’application +classe de cycle est injective pour les produits de courbes elliptiques sur un +corps fini [Kah03], voir le Théorème 0.1(2). +4. Exemples +Dans cette section on discute des exemples de motifs. Ces exemples sont organisés +dans trois sous-sections. Dans la première on présente des cas classiques où les +conjectures de la section précédente sont vérifiées. La deuxième sous-section montre +des subtilités (assez amusantes!) entre les différentes réalisations. La dernière partie +étudie les motifs de variétés abéliennes CM. Tous les exemples de cette section sont +repris à plusieurs endroits dans le texte. +On continue à travailler avec le diagramme (0.2) : +CHM(k) +π +�� +R +�▲ +▲ +▲ +▲ +▲ +▲ +▲ +▲ +▲ +▲ +Mot(k)� � +I +� +π′ +�� +GrVect. +NUM(k) +et h(X) indiquera le motif d’une variété X dans les différentes catégories, on préci- +sera la catégorie concernée si cela est important. +Quelques évidences des conjectures de la Section 3. +Proposition 4.1. Soient h(X) ∈ Mot(k) un motif homologique, f un endomor- +phisme de h(X) et pn(f) le polynôme caractéristique de f agissant sur Hn(X). +Supposons que pn(f) et pm(f) soient premiers entre eux pour tous les n ̸= m. +Alors h(X) admet la décomposition de Künneth +h(X) = +� +n=0 +hn(X), +voir la Conjecture 3.9. De plus les projecteurs de cette décomposition appartiennent +à l’algèbre Q[f]. +Remarque 4.2. +(1) La preuve est élémentaire : on applique l’identité de Be- +zout entre pn(f) et � +n̸=m pm(f), voir [KM74]. +(2) On peut appliquer cette proposition à toute variété projective et lisse définie +sur un corps fini et à f leur Frobenius : les polynômes pn(f) vont bien entre +premiers être eux par les conjectures de Weil. +La proposition s’applique aussi aux variétés abéliennes sur un corps quel- +conque. Dans ce cas f est la multiplication par un entier N. +(3) Ces résultats ne s’étendent pas automatiquement à une décomposition de +Chow–Künneth (Conjecture 3.1), notamment pour les variétés sur un corps + +24 +GIUSEPPE ANCONA +fini c’est une question ouverte. On dispose d’une décomposition de Chow– +Kunneth pour les variétés abéliennes [DM91], mais pour cela il faut utiliser +la transformée de Fourier, voir Section 8. +Proposition 4.3. Soient M un motif homologique et f un endomorphisme de M. +Alors f est inversible si et seulement si son action en cohomologie l’est. +Remarque 4.4. +(1) La preuve est élémentaire : on applique Cayley–Hamilton. +(2) Cette question donne une réponse affirmative à la Conjecture 3.3 de conser- +vativité pour le foncteur +I : Mot(k) −→ GrVect +pour les endomorphismes. On peut partiellement étendre le résultat aux +morphismes quelconques de la façon suivante. +Proposition 4.5. Soient M et N deux motifs homologiques et considérons deux +applications f : M → N et g : N → M. Supposons que I(f) et I(g) soient des +isomorphismes en cohomologie, alors f et g sont des isomorphismes. +Remarque 4.6. +(1) C’est une conséquence de la Proposition 4.3 appliquée +aux endomorphismes fg et gf. +(2) On remarquera que ce n’est pas une solution complète de la conservativité +pour I : étant donné un morphisme f il faut être capable d’en construire +un dans l’autre sens. Cette proposition est tout de même utile comme on +peut le voir dans la proposition ci-dessous, ainsi que dans la Section 5. +Proposition 4.7. (Kleiman [Kle68]) Soit A une variété abélienne de dimension g. +Alors son motif homologique admet une décomposition de Künneth +h(A) = +2g +� +n=0 +hn(A) +et un isomorphisme de motifs en algèbres de Hopf graduées +2g +� +n=0 +hn(A) = +2g +� +n=0 +Symn h1(A) +qui donne en cohomologie l’isomorphisme classique 10 H∗(A) = Λ∗H1(A). De plus +A vérifie la conjecture standard de type Lefschetz (Conjecture 3.5 et Conjecture +3.11) +h2g−n(A)(g) = hn(A)∨ ∼= hn(A)(n). +Démonstration. La décomposition de Künneth a déjà été discutée dans la Remarque +4.2(3). +On considère l’inclusion diagonale ∆ : A ֒→ An. Elle induit une application +h(∆) : h(A)⊗n → h(A) qui donne une application Symn h1(A) → hn(A). De façon +analogue on construit une application dans l’autre sens en partant du morphisme +de somme s : An → A. +10. Le changement de puissance symétrique en alternée est le même que celui dans la Remarque +3.21(1). + +MÉMOIRE HDR +25 +On peut maintenant appliquer la Proposition 4.5 et déduire �2g +n=0 hn(A) ∼= +�2g +n=0 Symn h1(A). Les applications construites ci-dessus respectent les structures +d’algèbre de Hopf par définition de ces dernières, ce sont d’ailleurs les structures +d’algèbre de Hopf qui forcent ces applications à être des isomorphismes en cohomo- +logie. +L’égalité h2g−n(A)(g) = hn(A)∨ est donnée par la dualité de Poincaré, voir la +Remarque 3.10. Pour l’autodualité hn(A)∨ ∼= hn(A)(n) on se réduit au cas n = 1, +grâce à l’égalité Symn h1(A) = hn(A). +Pour h1(A)∨ ∼= h1(A)(1) on applique encore la Proposition 4.5. Une applica- +tion est donnée par l’opérateur de Lefschetz Lg−1 : h1(A) → h2g−1(A)(g − 1) = +h1(A)∨(−1). Pour l’autre sens, fixons une isogénie entre A et sa duale A∨, ce qui +donne un isomorphisme h1(A) ∼= h1(A∨). Il s’agit alors de construire une applica- +tion de h1(A)∨(−1) vers h1(A∨). C’est la donné d’un diviseur sur A×A∨, le diviseur +de Poincaré convient. +□ +Remarque 4.8. Les résultats de la proposition ci-dessus sont valables même dans +CHM(k) mais leur preuve est plus délicate et repose sur la transformée de Fourier +pour les anneaux de Chow de variétés abéliennes, voir aussi la Section 8. +Motifs et théorèmes de comparaison. +Exemple 4.9. (Réduction supersingulière et Q-structures.) Soit S une surface K3 +complexe de rang de Picard maximal et choisissons un premier p de bonne réduction +tel que la réduction Sp soit supersingulière. La surface quartique de Fermat avec +p ≡ −1 (4) est un tel exemple [SK79]. Dans ce cas le motif homologique vérifie +h(S) = +1 ⊕ h2(S0) ⊕ +1(−2) +et +h2(S0) = +1(−1)⊕20 ⊕ h2,tr(S). +Le motif h2,tr(S) est appelé motif transcendant. Sa réalisation singulière est une +structure de Hodge de dimension 2 et de type (0, 2). Sa réduction modulo p est +isomorphe à +1(−1)⊕2. +Notons M le motif h2,tr(S)(1), VB sa réalisation singulière, Mp sa réduction +modulo p, et Zp les classes algébriques en caractéristique p, c’est-à-dire Zp = +Hom(1, Mp). Remarquons que VB et Zp sont des Q-espaces vectoriels de dimen- +sion 2. +Considérons les identifications +VB ⊗Q Qℓ = Rℓ(M0) = Rℓ(Mp) = Zp ⊗Q Qℓ, +(4.1) +où la première est donnée par le théorème de comparaison d’Artin entre cohomologie +singulière et ℓ-adique, la deuxième suit du théorème de changement de base propre +et lisse et la dernière vient de la propriété de supersingularité. On peut imaginer +l’identification VB ⊗Q Qℓ = Zp ⊗Q Qℓ comme un isomorphisme de périodes. C’est +ce point de vue qui a inspiré le travail présenté dans la Section 7. +Il est naturel de se demander si les deux Q-structures VB et Zp sont respectées +sous cette identification. Expliquons pourquoi la réponse est non. Si on considère +le cup-produit sur VB et Zp on déduit deux Q-formes quadratiques qB et qZ. Si les +espaces étaient égaux on aurait, en particulier, que ces deux formes quadratiques + +26 +GIUSEPPE ANCONA +seraient isomorphes. Or qB est définie positive par les relations de Hodge–Riemann +et qZ est définie négative par le théorème de l’indice de Hodge 11. +Remarque 4.10. Gardons les notations de l’exemple ci-dessus. C’est intéressant de +regarder les Q-formes quadratiques qB et qZ non seulement à la place à l’infini mais +aussi aux autres completions de Q. L’identification (4.1) montre l’égalité qB ⊗Qℓ = +qZ ⊗ Qℓ pour tout ℓ ̸= p. La seule place qui reste à déterminer est en p. Or elle +est déterminée par les autres places 12 et en particulier qB ⊗ Qp ̸= qZ ⊗ Qp puisque +qB ⊗ R ̸= qZ ⊗ R. +Une remarque amusante : observons que la forme quadratique qZ reconnait le +nombre premier p, c’est en effet le seul nombre premier pour lequel qB ⊗ Qp ̸= +qZ ⊗ Qp. En particulier si on fait varier p parmi tous les premiers à réduction +supersingulière on trouvera des Q-formes quadratiques toujours différentes. +Plus sérieusement, remarquons que les Qp-espaces VB ⊗QQp et Zp⊗QQp ont une +interprétation cohomologique : VB ⊗Q Qp est isomorphe à la réalisation p-adique +de M, encore par le théorème de comparaison d’Artin, et Zp ⊗Q Qp est la partie +Frobenius invariante de la réalisation crystalline de Mp. Il est naturel alors de se +demander si la relation qB⊗Qp ̸= qZ⊗Qp peut s’obtenir par des méthodes purement +p-adiques, par exemple via la théorie de Hodge p-adique. La réponse est oui, elle +sera esquissé dans la Section 6. Ces techniques permettront par ailleurs de montrer +des cas de la Conjecture de positivité 3.7, voir encore la Section 6. +Exemple 4.11. (Périodes.) Considérons la catégorie CHM(Q) des motifs définis +sur le corps Q. Elle est munie de deux foncteurs vers les Q-espaces vectoriels gradués +RB, RdR : CHM(Q) −→ GrVectQ +la réalisation singulière, ou de Betti, et la réalisation de de Rham algébrique. Les +théorèmes de comparaison fournissent une identification +RB ⊗Q C = RdR ⊗Q C +essentiellement induite par l’integration des formes différentielles algébriques sur +des simplexes topologiques. Les coefficients complexes qui apparaissent dans cette +identification sont appelés périodes et sont attendus être aussi transcendants que +possible. +Le formalisme tannakien montre l’existence d’isomorphismes +RB ⊗Q Q ∼= RdR ⊗Q Q +de foncteurs monoïdaux (mais on ne sait pas en construire un explicitement). Mon- +trons qu’en revanche il ne peut pas y avoir d’isomorphisme monoïdal entre RB et +RdR et même que l’on a +RB ⊗Q R ̸∼= RdR ⊗Q R. +Pour le montrer il suffit de trouver un motif M muni d’une application +q : Sym2 M −→ +1 +11. Voir respectivement la Définition 2.6 et la Conjecture 3.15, qui est connue pour les divi- +seurs. Les formes quadratiques qu’y apparaissent sont obtenues à partir du cup-produit par un +changement de signe. +12. Cela suit de la formule du produit sur les symboles de Hilbert, l’argument sera détaillé dans +la Section 6. + +MÉMOIRE HDR +27 +telle que les réalisations RB(q) et RdR(q) sont deux formes quadratiques avec si- +gnature différente. +Par exemple on peut prendre M tel que RB(M) soit une structure de Hodge +de poids 0 et types (−1, 1) et (0, 0) et q tel que RB(q) soit une polarisation de +RB(M), voir Définition 2.6. Alors la signature de la forme quadratique RB(q) est +(dim RB(M)0,0, 2 · dim RB(M)−1,1). +D’autre part la réalisation RdR(q) respecte la filtration de de Rham et donc +l’espace Fil1RdR(q) est isotrope ce qui force la signature (s+, s−) de RdR(q) à +vérifier s+ ≥ dim Fil1RdR(q). Or dim Fil1RdR(q) = dim RB(M)−1,1, il suffit donc +de trouver un exemple où l’on a dim RB(M)−1,1 > dim RB(M)0,0 pour conclure. +De tels exemples se trouvent dans la catégorie engendrée par les courbes d’équa- +tion Cn : y2 = xn−1, voir [Sch15]. Plus précisément M sera 13 la partie G-invariante +du motif h2(CN +n )(1) pour certains entiers n, N et pour un groupe fini G convenable +agissant sur CN +n et défini sur Q. +Notons par ailleurs que, par le théorème de comparaison de de Rham, RB ⊗Q R +est isomorphe à la cohomologie de de Rham classique du lieu complexe sous-jacent, +calculée à l’aide des formes différentielles C∞ à coefficients réels. En particulier on +vient de montrer que, pour les variétés algébriques définies sur R, il ne peut pas +y avoir d’isomorphisme naturel entre la cohomologie de de Rham algébrique de la +variété et la cohomologie de de Rham classique du lieu complexe. +Motifs de variétés abéliennes CM. La Proposition 4.7 montre que le motif +d’une variété abélienne A est contrôlé par son h1(A). Si A est une variété abélienne +CM on peut utiliser l’action CM pour décomposer h1(A) et donc le motif de A +tout entier. Cette décomposition est bien utile : Clozel l’avait déjà utilisée pour +un résultat sur la conjecture hom = num (voir le Théorème 5.4) et on l’utilisera +également pour les Conjectures de conservativité et de positivité, voir les Section 5 +et 6. +D’autre part, bien qu’élémentaire, cette décomposition n’est pas digeste à la +première lecture, on encourage à y revenir au fur et à mesure de ses applications. +Exemple 4.12. Soit A une variété abélienne simple de dimension g définie sur un +corps fini. Fixons une polarisation et considérons l’involution de Rosati induite sur +End(A) ⊗ Q. Par Honda–Tate il existe un corps CM de degré 2g et une inclusion +F ⊂ End(A) ⊗ Q tels que l’involution laisse stable F et agit comme la conjugaison +complexe sur F. +Considérons l’action de F sur le motif h1(A) dans la catégorie CHM(k)� +F des +motifs de Chow à coefficients dans une clôture galoisienne �F de F. Elle décompose +le motif +h1(A) = L1 ⊕ . . . ⊕ L2g +(4.2) +en une somme de 2g facteurs échangés par l’action du groupe de Galois Gal( �F/Q) +et la réalisation de chaque facteur est une droite propre pour l’action de F. De plus +le choix d’une polarisation induit un morphisme dans CHM(k) +q1 : h1(A) ⊗ h1(A) −→ +1(−1). +13. Remarquons que le premier candidat que l’on pourrait imaginer, à savoir M = h2(S)(1) +avec S une surface, ne peut pas fonctionner. En effet pour les surface on a l’inégalité opposée : +h1,1 > h0,2, voir [Sch15, Proposition 22]. + +28 +GIUSEPPE ANCONA +Par rapport à cet accouplement, une droite propre est orthogonale à toutes les +autres hormis sa conjuguée complexe. +À l’aide de la formule hn(A) = Symn h1(A) on déduit une décomposition de +hn(A) dans CHM(k)� +F en somme de facteurs dont la réalisation a dimension un : +chaque facteur correspond au produit tensoriel de n différents Li. De plus l’accou- +plement qn = Symn q1 rend la réalisation d’une telle droite orthogonale à toutes les +autres hormis sa conjuguée complexe. +Remarque 4.13. Gardons les notations de l’exemple ci-dessus. +(1) Soient α1, . . . , α2g les valeurs propres de l’action du Frobenius sur h1(A) +comptées avec multiplicité. Quitte à les renuméroter on a αi · α2g−i = q, +où q est le cardinal du corps de base. Cette symétrie des valeurs propres +provient de l’accouplement parfait q1. +Les valeurs propres de l’action du Frobenius sur hn(A) sont données par +tous les produits possibles de n distincts αi. La dimension de l’espace des +classes Galois-invariantes dans H2n(A)(n) est alors donnée par le nombre +de collections {αi1, . . . , αi2n} vérifiant +αi1 · . . . · αi2n = qn. +(4.3) +La conjecture de Tate prédit que chaque droite propre de H2n(A)(n) cor- +respondant à une telle collection contient une classe algébrique. +Cette conjecture est connue pour les diviseurs. Une droite propre contient +donc une intersection de diviseurs si et seulement si la collection αi1, . . . , αi2n +vérifie +αij · αi2n−j = q, +∀j, +(4.4) +quitte à renuméroter. +(2) Soit F0 le plus grand sous-corps totalement réel de �F. Le groupe de Galois +Gal( �F /F0) est d’ordre deux, engendré par la conjugaison complexe. Son +action recolle la décomposition de l’exemple ci-dessus en une décomposition +de hn(A) dans la catégorie CHM(k)F0 des motifs de Chow à coefficients dans +F0. Cette décomposition est orthogonale par rapport à l’accouplement qn. +Les facteurs obtenus sont de rang un ou deux. +(3) L’action du groupe de Galois Gal( �F /Q) recolle la décomposition de l’exemple +ci-dessus en une décomposition de hn(A) dans la catégorie CHM(k) des mo- +tifs de Chow à coefficients rationnels. Cette décomposition est orthogonale +par rapport à l’accouplement qn. Le rang des facteurs obtenus varie et vaut +au plus 2g. +Par la description du point (1) on remarque que chaque facteur de +h2n(A)(n) rentre dans une des trois catégories suivantes : +(a) La réalisation du facteur est engendrée par des classes qui sont toutes +intersections de diviseurs, +(b) La réalisation du facteur est Frobenius invariante mais ne contient au- +cune intersection de diviseurs, +(c) Le Frobenius agissant sur la réalisation du facteur n’a aucun vecteur +fixe. + +MÉMOIRE HDR +29 +Pour les questions de cycles algébriques c’est surtout la classe (b) qui est +intéressante. Si A est de dimension quatre les facteurs de ce type ont tou- +jours rang deux. Pour le montrer il s’agit d’étudier les quadruplets vérifiant +(4.3) mais qui ne vérifient pas (4.4). C’est une étude élémentaire mais dont +la combinatoire est délicate, voir [Anc21, §7] pour les détails. +5. Autodualité et conservativité +Cette section concerne les Conjectures 3.3 et 3.5 de conservativité et d’autodua- +lité et les résultats que l’on peut obtenir pour les variétés abéliennes. On notera +CHM(k)ab, +Mot(k)ab +et +NUM(k)ab +les catégories de motifs engendrées par les motifs de variétés abéliennes. +On commence par rappeler les théorèmes fondamentaux de semisimplicité de +Jannsen et de nilpotence de Kimura, puis on en déduit les Conjectures 3.3, et 3.5 +pour CHM(k)ab, avec k = C. +Dans une deuxième partie on explique le contenu de [Anc22] qui étudie ces +conjectures pour k = Fq. Il faudra combiner les théorèmes de Jannsen et Kimura +avec les décompositions de l’Exemple 4.12 induites par la multiplication complexe. +Cette méthode est inspirée par un travail de Clozel [Clo99] que nous rappellons +également. +Théorème 5.1. (Jannsen [Jan07]) La catégorie NUM(k) des motifs numériques +est semisimple. +Théorème 5.2. (Kimura–O’Sullivan [Kim05, O’S05]) Le noyau du foncteur de +projection +πnum : CHM(k)ab −→ NUM(k)ab +est nilpotent. En particulier le foncteur πnum est conservatif et toute décomposition +dans NUM(k)ab se relève en une décomposition dans CHM(k)ab. L’énoncé reste +valable si on remplace NUM(k)ab par Mot(k)ab (ou n’importe quelle catégorie ten- +sorielle quotiente). +Proposition 5.3. La Conjecture d’autodualité 3.5 et la conjecture hom = num +sont vraies pour tout motif dans CHM(C)ab. De plus le foncteur de réalisation +singulière +R : CHM(C)ab −→ GrVectQ +est conservatif (cf. Conjecture 3.3). +Démonstration. La conjecture standard de type Lefschetz est vraie pour les variétés +abéliennes (Proposition 4.7). En caractéristique zéro, on peut en déduire hom = +num (Remarque 3.17). +De plus, on peut munir hn(A) d’un accouplement +hn(A) ⊗ hn(A) → +1(−n) +dont la réalisation singulière est une polarisation (Proposition 3.14). On en déduit +que pour tout facteur direct M du motif homologique hn(A) la restriction de l’ac- +couplement à M induit un isomorphisme M ∼= M ∨(−n). (Ce fait est impliqué par +la Proposition 2.13 et c’est le point crucial où on l’utilise que les motifs sont définis + +30 +GIUSEPPE ANCONA +sur C. ) L’autodualité pour les motifs homologiques se relève aussi dans CHM(C)ab +par le Théorème 5.2. +Passons maintenant à la conservativité et considérons le diagramme (0.2). Encore +par le Théorème 5.2, il suffira de démontrer la conservativité de la réalisation des +motifs homologiques I : Mot(C)ab → GrVectQ. D’autre part, la conjecture hom = +num déduite au début de la preuve dit que les catégories Mot(C)ab et NUM(C)ab +coincident. En particulier, par le Théorème 5.1, I est un foncteur entre catégories +semisimples, il est donc conservatif. +□ +Dans la suite de la section on travaille sur un corps fini k = Fq. Ce qui rem- +placera l’utilisation de la polarisation dans la preuve ci-dessus est la multiplication +complexe, via les décompositions de l’Exemple 4.12. +Théorème 5.4. (Clozel [Clo99]) Soit A une variété abélienne sur un corps fini. +Alors il existe une infinité de nombres premiers ℓ tels que l’équivalence numérique +coïncide avec l’équivalence homologique pour la cohomologie ℓ-adique. +Démonstration. On se ramène au cas où A est simple. Soient Q ⊂ F0 ⊂ �F les corps +de nombres introduits dans l’Exemple 4.12 et la Remarque 4.13(2). (Ces corps +dépendent de A et plus précisément du choix d’un corps CM dans ses endomor- +phismes.) +Fixons un nombre premier ℓ tel qu’il existe une place λ de F0 au-dessus de ℓ telle +que la complétion (F0)λ ne contienne pas �F. On va montrer qu’un tel ℓ convient. +Remarquons qu’il y a une infinité de tels ℓ et que l’on peut estimer leur densité +avec Chebotareff. +Considérons les classes algébriques de codimension n que l’on voit comme classes +dans h2n(A)(n) et soit q2n l’accouplement construit dans l’Exemple 4.12. Puisqu’il +est non dégénéré il suffit de voir que pour chaque classe algébrique non nulle γ il +existe une classe algébrique δ telle que q2n(γ, δ) ̸= 0. On vérifie que la question est +stable par changement de coefficients et on travaille avec les cycles à coefficients +dans F0 et la réalisation λ-adique Rλ à valeurs dans les (F0)λ-espaces vectoriels. +Dans ce cas on utilise la décomposition de la Remarque 4.13(2) en plans et droites. +Il suffit alors de travailler avec un seul de ces facteurs M et supposer que γ vit +dans M. Dans ce cas, si la forme quadratique q2n est sans vecteur isotrope sur M +le choix δ = γ convient. +Si M a dimension un cela suit du fait que q2n est non dégénérée sur chaque +facteur de la décomposition et donc sur M. Si M a dimension deux alors il admet +au plus deux droites isotropes. Ces deux droites existent au moins sur M ⊗F0 �F : il +s’agit de la décomposition en droites de l’Exemple 4.12. Montrons que ces droites +ne sont pas contenues dans le (F0)λ-espace vectoriel Rλ(M). Pour cela il suffira de +construire un endomorphisme f : M → M dans la catégorie CHM(k)F0 dont ces +droites sont des droites propres et de valeurs propres appartenant à �F − F0. Cela +donnera la conclusion voulue puisqu’on a que (F0)λ ne contient pas �F. +La construction de ce f procède ainsi. Considérons la décomposition (4.2). Quitte +à changer la numérotation, le motif M est de la forme +M = (L1 ⊗ . . . ⊗ L2n) ⊕ (¯L1 ⊗ . . . ⊗ ¯L2n), +où ¯· est la conjugaison complexe. Fixons un ordre sur les Li, ceci permet de réaliser +M comme facteur direct de h1(A)⊗2n dans la catégorie CHM(k)F0. On peut alors + +MÉMOIRE HDR +31 +définir f par l’action induite par un générateur de F ⊂ End(A) ⊗ Q sur le premier +terme du produit tensoriel et l’identité sur les autres 2n − 1. +□ +Proposition 5.5. La conjecture d’autodualité 3.5 est vraie pour les motifs de +CHM(Fq)ab de poids pair et dont la réalisation a dimension un. +Démonstration. Soient X un tel motif et n son poids (pair). On a une variété +abélienne A, telle que X est facteur direct de hn(A). +On veut montrer que X ∼= X∨(−n). Par le Théorème 5.2 il suffit de montrer +πnum(X) ∼= πnum(X)∨(−n). Par la semisimplicité de Jannsen, il suffit alors de +montrer que Hom(πnum(X), πnum(X)∨(−n)) ̸= 0. Cet énoncé peut se démontrer +après extension des scalaires. On étend les scalaires au corps F0 de la Remarque +4.13(2). +On utilise la décomposition de cette même remarque. Par semisimplicité on peut +supposer que X soit un facteur direct d’un des facteurs M de cette décomposition. +Rappelons que l’on dispose d’un accouplement qn non-dégénéré sur M et que M a +dimension un ou deux. +Si M a dimension un alors X = M et on a terminé. Si M a dimension deux, +remontons aux motifs homologiques, via le Théorème 5.2. On pourra alors utiliser +la réalisation et il suffira de montrer que l’accouplement restreint à la droite qui +est la réalisation de X reste non-dégénéré, autrement dit que la droite n’est pas +isotrope. (C’est ici que l’on utilisera que le poids est pair. Remarquons notamment +que si le poids est impair l’accouplement sur M est alterné et donc toute droite est +isotrope.) +La subtilité est que la catégorie des motifs homologiques dépend a priori de +la cohomologie choisie mais la bonne nouvelle est qu’il suffit d’étudier une seule +cohomologie bien choisie. On utilise alors la cohomologie λ-adique comme dans +la preuve du Théorème 5.4 avec le même choix de λ : on y avait montré que la +réalisation de M est sans vecteurs isotropes. +□ +Théorème 5.6. Les foncteurs de réalisation ℓ-adique +Rℓ : CHM(Fq)ab −→ GrVectQℓ +sont conservatifs. +Démonstration. Soit f : X → Y une application dans CHM(Fq)ab telle que Rℓ(f) : +Rℓ(X) → Rℓ(Y ) soit un isomorphisme. On veut montrer que f est un isomorphisme +également. +Par le Théorème 5.2 il suffira de travailler avec l’équivalence homologique. En +utilisant la décomposition de Künneth, il suffira de supposer que Rℓ(X) et Rℓ(Y ) +sont concentrés en un même degré cohomologique. +Supposons d’abord que Rℓ(X) et Rℓ(Y ) aient dimension un. On dispose d’ap- +plications +1 −→ Y ⊗ X∨ ∼= Y ∨ ⊗ X −→ +1, +où la première et la dernière application sont obtenues par adjonction à partir de +f et l’isomorphisme central vient de la Proposition 5.5. +Dans ce cas les réalisations des applications ci-dessus sont des isomorphismes et +par la Proposition 4.5 on a +1 ∼= Y ⊗ X∨ donc X ∼= Y . + +32 +GIUSEPPE ANCONA +Travaillons maintenant dans le cas général : soit d la dimension de Rℓ(X) et +Rℓ(Y ). Supposons que leur degré cohomologique soit pair (sinon il faudra remplacer +des produits extérieurs par des produits symétriques dans la suite). L’application +Λdf : ΛdX −→ ΛdY +retombe dans le cas particulier de la dimension un traité au-dessus. C’est donc un +isomorphisme et on dispose de l’application (Λdf)−1. +On peut maintenant construire une application g : Y → X via +Y ∼= ΛdY ⊗ (Λd−1Y )∨ −→ ΛdX ⊗ (Λd−1X)∨ ∼= X +où le premier et le dernier isomorphisme viennent du lemme ci-dessous et l’applica- +tion centrale est (Λdf)−1⊗(Λd−1f)∨. Par construction, Rℓ(g) est un isomorphisme, +on conclut alors par la Proposition 4.5. +□ +Lemme 5.7. ([O’S05, Lemma 3.2]) Soit M un motif homologique dont la réalisa- +tion est concentrée en un degré pair et de dimension d, alors +M ∼= ΛdM ⊗ (Λd−1M)∨ +Démonstration. Le motif ΛdM est un facteur direct de M ⊗ Λd−1M. Ceci fournit +deux applications entre M et ΛdM ⊗ (Λd−1M)∨ dans les deux directions. Leur +réalisation est un isomorphisme, on conclut par la Proposition 4.5. +□ +6. Positivité en caracteristique positive +Dans cette section nous étudions la Conjecture de positivité 3.7. Le résultat +principal dit que la conjecture est vérifiée pour les motifs de dimension 2 et à +réduction supersingulière (Théorème 6.1). Nous expliquons ensuite comment ap- +pliquer ce résultat pour déduire la Conjecture standard de type Hodge 3.15 pour +certaines variétés, par exemples les variétés abéliennes de dimension quatre. Puis +nous discutons le rôle de l’hypothèse de dimension 2. +Théorème 6.1. Soient M un motif homologique sur un corps k de caractéristique +p et q : Sym2 M → +1 un morphisme dans Mot(k). Supposons que q soit la réduction +modulo p d’une application �q : Sym2 � +M → +1 définie en caractéristique zéro. +Définissons qZ comme la restriction de q à toutes les classes algébriques Z(M) = +Hom(1, M) de M et qB comme la réalisation singulière de �q. +Supposons que qB soit une polarisation et supposons avoir M ∼= +1⊕2. Alors qZ +est définie positive. +Remarque 6.2. (Sur les hypothèses : relevabilité et rang 2.) Il n’est pas rare d’avoir +des motifs qui se relèvent à la caractéristique zéro. Par exemple il est attendu que +tout motif sur un corps fini se relève, car la conjecture de Tate prédit qu’un tel +motif serait de type abélien. En général, même si un motif se relève, ses classes +algébriques ne se relèveront pas à la caractéristique zéro, ce qui rend les résultats de +positivité difficiles, puisqu’ils ne peuvent pas se déduire des propriétés de positivité +des polarisation, voir Définition 2.6. +L’hypothèse restrictive dans le théorème ci-dessus est la dimension deux. La +façon d’utiliser ce résultat pour déduire la conjecture standard de type Hodge pour +certaines variétés est la suivante. On décompose le motif d’une variété donnée autant +que possible. Certains facteurs ne posséderont pas de classes algébriques, d’autres + +MÉMOIRE HDR +33 +en posséderont uniquement certaines pour lesquels la conjecture standard de type +Hodge peut se déduire des cas connus : par exemple ce sont des classes qui se +relèvent à la caractéristique zéro ou qui sont construites à partir de diviseurs. Enfin, +ils resteront parfois des facteurs qui possèdent des classes algébriques qui ne se +ramènent pas à des cas connus. Le point est alors de trouver des variétés pour +lesquels ces derniers facteurs sont de dimension deux. Un exemple est donné dans +le corollaire ci-dessous. +Corollaire 6.3. Soit A une variété abélienne de dimension quatre définie sur un +corps de caractéristique p. Alors +(1) La Conjecture standard de type Hodge 3.15 est vraie pour A, +(2) Le produit d’intersection +CH2(A)/num × CH2(A)/num −→ Q +est de signature (ρ2 − ρ1 + 1; ρ1 − 1), où ρn = dimQ(CH2(A)/num), +(3) Il y a une infinité de nombres premiers ℓ ̸= p pour lesquels l’équivalence nu- +mérique sur A coïncide avec l’équivalence homologique pour la cohomologie +ℓ-adique. +Démonstration. Par un argument de spécialisation on peut supposer que le corps de +définition est fini. On peut alors utiliser la décomposition de la Remarque 4.13(3). +Les facteurs qui sont a priori mystérieux pour la Conjecture standard de type Hodge +3.15 sont ceux de type (b), dans la notation de la même remarque. Il se trouve que +tous ces facteurs de toutes les variétés abéliennes de dimension quatre sont bien de +dimension deux. Ce fait est un petit miracle combinatoire, voir [Anc21, §7] pour +les détails ou la Remarque 4.13(3) pour un aperçu. +Les points (1) et (2) sont en fait équivalents. Cette équivalence n’utilise pas le +fait que A est une variété abélienne mais uniquement la dimension quatre. Elle se +déduit de la décomposition en parties primitives. +Si le corps de définition est fini le point (3) est un cas particulier du Théorème 5.4 +de Clozel. Pour se ramener aux corps finis on spécialise et on utilise la Proposition +3.14. +□ +Remarque 6.4. +(1) (Dimension supérieure.) Pour les variétés abéliennes de +dimension quelconque on pourra encore utiliser la décomposition de la Re- +marque 4.13(3). En général les facteurs (b) de la remarque auront dimension +plus grande que deux. On peut tout de même trouver des exemples spo- +radiques pour lesquels ces facteurs de type (b) ont rang 2 et déduire la +conjecture standard de type Hodge à l’aide du Théorème 6.1. Ceci a été +récemment étudié par Koshikawa [Kos22]. +(2) (Supersingularité vs Frobenius invariant.) On remarquera un petit décalage +entre l’hypothèse de supersingularité M ∼= +1⊕2 du Théorème 6.1 et la +caractérisation des facteurs (b). Tout d’abord remarquons que ces deux +descriptions sont équivalentes sous la conjecture de Tate. +Inconditionnellement, a priori, parmi les facteurs de type (b) certains +pourraient ne pas posséder de classe algébrique : ces facteurs pourront être +négligés à l’étude de la conjecture standard de type Hodge. Pour les autres +on a besoin de montrer que dès qu’un facteur a une classe algébrique il est + +34 +GIUSEPPE ANCONA +engendré par des classes algébriques. Ceci se montre en utilisant l’action +CM mais l’argument nécessite de travailler avec l’équivalence numérique. +Si on travaillait avec l’équivalence homologique on se trouverait devant +des problèmes similaires à ceux qui empêchent l’argument de Clozel du +Théorème 5.4 de fonctionner pour tout nombre premier ℓ. +Définition 6.5. (Symbole de Hilbert.) Soit q une Q-forme quadratique de dimen- +sion deux et ν = 2, 3, 5, . . ., ∞ une place de Q. On définit le symbole de Hilbert +εν(q) de q en ν comme étant +1 si q(x, y) = z2 a une solution non-nulle dans la +complétion Qν et −1 sinon. +Proposition 6.6. Gardons les notations du Théorème 6.1 et soit n l’unique entier +tel que la réalisation singulière de � +M soit une structure de Hodge de type (−n, +n). +Alors qZ est définie positive si et seulement si +εp(qZ) = (−1)nεp(qB), +(6.1) +ce qui est encore équivalent au fait que qZ ⊗ Qp est isomorphe à qB ⊗ Qp si et +seulement si n est pair. +Remarque 6.7. L’idée de la preuve de cette proposition a déjà été introduite dans +l’Exemple 4.9 et la remarque qui le suit. Cette proposition est par ailleurs le point +crucial où l’hypothèse de la dimension deux est nécessaire. +Démonstration. Tout d’abord on remarque que, pour tout nombre premier ℓ ̸= p, +on a qB ⊗ Qℓ ∼= qZ ⊗ Qℓ, c’est la combinaison du théorème de comparaison d’Artin +et du changement de base propre et lisse en cohomologie ℓ-adique. Cela implique +en particulier que εℓ(qZ) = εℓ(qB), mais aussi que le discriminant de qB et qZ +coïncident dans Q∗/(Q∗)2, car un nombre rationnel est un carré s’il l’est dans +presque toute complétion. +D’autre part, en suivant la Définition 2.6, on a que qB est (−1)n-définie positive. +Cela implique en particulier que ε∞(qB) = (−1)n, et que le discriminant de qB +est positif. On en déduit que qZ a discriminant positif et donc, puisqu’on est en +rang deux, que qZ est définie positive ou définie négative. La positivité de qZ est +équivalente alors à ε∞(qZ) = +1. +A l’aide de la formule du produit sur les symboles de Hilbert on a +� +ν +εν(qZ) = 1 = +� +ν +εν(qB). +(6.2) +En simplifiant les facteurs ℓ-adiques on obtient ε∞(qZ)·εp(qZ) = ε∞(qB)·εp(qB) et +donc ε∞(qZ)·εp(qZ) = (−1)n ·εp(qB). On conclut que ε∞(qZ) = +1 si et seulement +si la formule (6.1) est satisfaite. +La dernière équivalence de la proposition suit du fait que deux Qp-formes qua- +dratiques non-dégénérées de même rang sont isomorphes si et seulement si elles ont +le même discriminant et le même symbol de Hilbert. +□ +Démonstration du Théorème 6.1. Par la proposition précédente on est ramené à un +problème purement p-adique. Ce dernier a en plus une interprétation cohomologique +qui permet de le traduire en une question de théorie de Hodge p-adique. Pour +expliquer cette traduction définissons VB,p comme la réalisation étale p-adique de +� +M et VZ,p comme la partie Frobenius invariante de la réalisation cristalline de M. + +MÉMOIRE HDR +35 +Chacun de ces deux Qp-espaces vectoriels de dimension deux est muni d’une forme +quadratique induite respectivement par �q et q. Ces deux formes quadratiques ne sont +rien d’autre que qB ⊗Qp et qZ ⊗Qp. La première identification suit du théorème de +comparaison d’Artin. La deuxième vient du fait que la partie Frobenius invariante +contient toujours l’espace engendré par les classes algébriques et dans ce cas cette +inclusion est une égalité par dimension. +Le théorème de comparaison p-adique montré par Faltings fournit un isomor- +phisme +VB,p ⊗ Bcris = VZ,p ⊗ Bcris +(6.3) +fonctoriel, compatible à toutes les structures que l’on pourrait imaginer et en par- +ticulier avec les formes quadratiques qB et qZ. On conclut à l’aide des deux phéno- +mènes suivants. +(a) La matrice de changement de base est calculable dans Mat2×2(Bcris). Elle +ne dépend que de l’entier n de la filtration de Hodge et de l’algèbre End(VB,p) des +endomorphismes de VB,p comme représentation galoisienne. +(b) La description de cette matrice est suffisante pour déduire que qB ⊗ Qp et +qZ ⊗ Qp sont isomorphes si et seulement si n est pair. +□ +On passe maintenant à la description des deux phénomènes (a) et (b) de la fin +de la preuve ci-dessus. Si le deuxième est élémentaire le premier est une propriété +remarquable de la théorie de Hodge p-adique qui la différencie de la théorie de +Hodge classique. +Exemple 6.8. Supposons avoir deux R-formes quadratiques définies et de dimen- +sion deux q1(x, y) = a1x2 + b1y2 et q2(x, y) = a2x2 + b2y2 et une identification +q1 ⊗R C = q2 ⊗R C. Supposons savoir que la matrice de changement de base de +l’identification est +�i +0 +0 +i +� +. +On pourra alors en déduire que q1 et q2 ne sont pas isomorphes (une est définie +négative et l’autre est définie positive). Les arguments au point (b) dans la preuve +du Théorème 6.1 sont tout aussi élémentaires et ressemblent à cet exemple, avec R +et C qui sont remplacés par Qp et Bcris. +Remarque 6.9. (Théorème de comparaison p-adique vs classique.) Le théorème +de comparaison p-adique +Rp ⊗ Bcris = Rcris ⊗ Bcris, +(6.4) +dont (6.3) en est une instance, est souvent considéré comme l’analogue p-adique du +théorème de comparaison entre cohomologie singulière et cohomologie de de Rham +algébrique +RB ⊗ C = RdR ⊗ C +(6.5) +que l’on a discuté dans l’Exemple 4.11. En fait le théorème de comparaison p- +adique a des avantages par rapport à sa version classique, que l’on liste ci-dessous. +(C’est grâce à ces propriétés que l’on peut notamment calculer certaines matrices +de changement de base et déterminer des relations entre leurs entrées, cf. le point +(a) de la preuve du Théorème 6.1.) + +36 +GIUSEPPE ANCONA +Rappelons que les réalisations classiques d’un motif M possèdent des structures +supplémentaires. En particulier, RdR(M) est munie d’une filtration, RB(M) est +munie d’une structure de Hodge, Rp(M) est munie de l’action du groupe de Galois +d’un corps p-adique et Rcris(M) est un ϕ-module filtré, i.e. elle est munie d’une +filtration et d’une action du Frobenius absolu ϕ. +Rappelons aussi que les coefficients des matrices qui apparaissent dans les com- +paraisons (6.4) ou (6.5) sont appelés périodes. +(1) L’anneau Bcris est muni des actions du Frobenius absolu ϕ et du groupe +de Galois absolu de Qp ainsi que d’une filtration 14. La comparaison (6.4) +respecte ces trois structures. Quand on dispose d’objets cohomologiques +suffisamment concrets, comme ceux de (6.3), on peut explicitement décrire +ces structures sur les périodes. +Le corps C en revanche n’est pas muni de structures qui imiterait la filtra- +tion ou la structure de Hodge. Connaître la structure de Hodge sous-jacente +à RB(M) n’aide pas à avoir des informations sur les périodes complexes du +motif M. +(2) Dans [Fal89], Faltings montre une équivalence de catégories entre certains +ϕ-modules filtrés, dits admissibles, et certaines représentations de groupes +de Galois de corps p-adiques, dites cristallines. La condition d’admissibi- +lité est toujours vérifiée par les modules d’origine géométrique, i.e. par les +réalisations de motifs. +Cette équivalence est en plus compatible au théorème de comparaison +(6.4). En particulier, des périodes dans Bcris qui ont un certain comporte- +ment par rapport à ϕ et à la filtration doivent correspondre à un unique +ϕ-module filtré et donc aussi à une unique représentation de Galois. Autre- +ment dit, les périodes p-adique associées à un motif donné sont caractérisées +par leur comportement par rapport à deux structures : Frobenius et filtra- +tion. +Une structure de Hodge est beaucoup plus riche qu’une filtration. Par +exemple, pour deux variétés d’une même famille, les espaces vectoriels filtrés +correspondant seront isomorphes alors que les structures de Hodge ne le +seront pas, en général 15. On ne peut pas avoir une équivalence de catégories +entre ces deux structures cohomologiques. +(De façon informelle, le passage du cas complexe (6.5) au cas p-adique +(6.4) correspond à enrichir la structure de de Rham et à réduire celle de +Hodge suffisamment pour avoir deux structures équivalentes. En effet, la +réalisation cristalline hérite la filtration de de Rham mais elle possède en +plus l’action du Frobenius absolu ϕ. D’autre part, d’après la conjecture +de Mumford-Tate, une structure de Hodge est grosso-modo équivalente à +une représentation de Galois d’un corps de nombres, or sur Rp(M) on ne +regarde que l’action d’un certain de ses sous-groupes de décomposition.) +14. Certaines structures sont définies dans un plus gros anneau noté BdR. On ignore ici ce point +pour simplifier l’exposition. +15. Si on considère la courbe elliptique Et : y2 = x(x − 1)(x − t) pour t ∈ Q − {0, 1} et le motif +Mt = h1(E) alors RdR(Mt) est la donnée d’un Q-espace vectoriel de dimension 2 muni d’une +droite à l’intérieur. En revanche la structure de Hodge RB(Mt) détermine Et à isogénie près, +notamment il y aura des structures de Hodge CM et d’autres qui ne le sont pas. + +MÉMOIRE HDR +37 +(3) La condition d’admissibilité, discutée au point précédent, se trouve être re- +lativement élémentaire à vérifier, grâce à [CF00]. Ceci permet de construire +facilement des ϕ-modules filtrés admissibles et donc des matrices de pé- +riodes avec action de Frobenius et filtration prescrites. +On ne dispose pas de méthode élémentaire de construction de périodes +complexes. Il s’agit d’intégrales de formes différentielles algébriques qui sont +souvent difficiles à calculer. Leurs relations sont prédites par la conjectures +des périodes de Grothendieck et restent mystérieuses. +En résumant, le point (a) de la preuve du Théorème 6.1 est le calcul de la matrice +de périodes associée à (6.3). Ce calcul procède comme suit : on décrit l’action de +ϕ et la filtration sur ces pédiodes (point (1) ci-dessus), puis on montre que cette +description caractérise les périodes en question (point (2)), enfin on construit de +telles périodes (point (3)). +Exemple 6.10. (Un calcul de périodes.) Soit M un motif comme dans le Théorème +6.1 pour lequel on veut montrer la relation (6.1). Cela passe par le calcul de la ma- +trice de périodes de (6.3). Ce calcul dépend de l’entier n (défini dans la Proposition +6.6) et de l’algèbre End(VB,p) des endomorphismes de VB,p comme représentation +galoisienne. +Supposons n = 1 : on doit alors montrer que qZ ⊗ Qp et qB ⊗ Qp ne sont pas +isomorphes, voir la Proposition 6.6. Supposons également que End(VB,p) soit le +corps Qp2, l’unique extension non ramifiée de degré 2 de Qp. Comme Bcris contient +toutes les extensions non ramifiées, on peut alors écrire (6.3) comme +(VB,p ⊗Qp Qp2) ⊗Qp2 Bcris = (VZ,p ⊗Qp Qp2) ⊗Qp2 Bcris. +(6.6) +L’action de End(VB,p) = Qp2 sur VB,p décompose VB,p ⊗Qp Qp2 en deux droites +échangées par le groupe de Galois Gal(Qp2/Qp). En particulier on peut choisir +deux vecteurs vB et wB échangés par le groupe de Galois et appartenant à ces +droites. +L’algèbre Qp2 agit également sur VZ,p, grâce à l’équivalence de catégories de +Faltings, voir aussi le point (2) de la Remarque 6.9. On peut alors construire vZ et +wZ de façon analogue. De plus, comme (6.3) est compatible à cette action, il existe +deux périodes α, β ∈ Bcris telles que +αvB = vZ +et +βvB = vZ. +Je prétends qu’elles satisfont aux relations +ϕ(α) = β +et +ϕ(β) = α +(6.7) +ainsi que +α ∈ Fil1 − Fil2 +et +β ∈ Fil−1 − Fil0. +(6.8) +En effet Gal(Qp2/Qp) est engendré par le Frobenius et d’autre part l’action du +Frobenius sur VB,p et VZ,p est triviale par définition. Quant à la relation sur la +filtration, on la déduit du fait que les droites propres que l’on a construites doivent +être isotropes, or la droite définie par la filtration sur la réalisation cristalline de M +doit aussi l’être, en particulier elle doit coïncider avec une de ces droites propres +(après extension des scalaires). +Les relations (6.7) et (6.8) sont un exemple du principe (1) expliqué dans la +Remarque 6.9. + +38 +GIUSEPPE ANCONA +Considérons maintenant le Qp2 espace vectoriel +P = {γ ∈ Bcris, +ϕ2(γ) = γ, +γ ∈ Fil1 − Fil2 +et +ϕ(γ) ∈ Fil−1 − Fil0}. +Je prétends qu’il a dimension 1, autrement dit que n’importe quel élément de P est +en fait une période de M construite ci-dessus. Ceci est un exemple du principe (2) +expliqué dans la Remarque 6.9. +Pour le montrer remarquons d’abord qu’une période α de M est inversible dans +Bcris. On peut alors considérer l’espace P/α ⊂ Bcris, il correspondra à +α−1P = {λ ∈ Bcris, +ϕ2(λ) = λ, +λ ∈ Fil0 − Fil−1 +et +ϕ(λ) ∈ Fil0 − Fil−1}. +Or cet espace est Qp2 ⊂ Bcris par [Fon94, Théorème 5.3.7]. +Pour conclure construisons une période t avec les propriétés +t, ϕ(t) ∈ B∗ +cris, +ϕ2(t) = p · t, +t ∈ Fil1 − Fil2 +et +ϕ(t) ∈ Fil0 − Fil1. +De ces propriétés on déduit que α = t/ϕ(t) ∈ P, autrement dit α est une période +du motif M, et α · ϕ(α) = 1/p. Cette dernière relation implique que qZ ⊗ Qp et +qB ⊗ Qp ne sont pas isomorphes par un calcul élémentaire qui est analogue à celui +de l’Exemple 6.8. +La construction de t suit le principe (3) expliqué dans la Remarque 6.9. Consi- +dérons le ϕ-module filtré N = Q2 +p muni du Frobenius +ϕ = +� +0 +1/p +1 +0 +� +et de la filtration +Fil−1 = N, Fil0 = Qp · e2, Fil1 = 0. +On vérifie que c’est un ϕ-module admissible, donc il existe une représentation de +Galois V qui lui correspond par l’équivalence de catégorie de Faltings et qui donne +une comparaison V ⊗ Bcris = N ⊗ Bcris = B2 +cris. Puisque cette identification est +compatible à toutes les structures, on voit que les vecteurs de V ⊂ B2 +cris sont +exactement de la forme (t, ϕ(t)) où t satisfait aux propriétés voulues. +Remarque 6.11. (Généralisations possibles.) La partie p-adique de l’argument +présenté se généralise aux motifs de dimension plus grande : les principes généraux +expliqués dans la Remarque 6.9 restent valables, les calculs de l’Exemple 6.10 de- +viennent plus compliqués mais peuvent être traités. Dans un travail avec Adriano +Marmora [AM22] nous avons pu en déduire une généralisation de la formule (6.1). +En suivant l’argument de la Proposition 6.6 cela donne la positivité du symbole de +Hilbert à l’infini ε∞(qZ) = +1. Malheureusement cette information ne suffit pas à +déduire que qZ est défini positive, c’est le point crucial où l’on utilisait l’hypothèse +de dimension 2. +Pour passer à la dimension supérieure il faudrait trouver un invariant défini en +toute place, tel que la place à l’infini soit contrôlée par toutes les places finies et +d’autre part tel que l’invariant à l’infini détermine toute la signature. Une tenta- +tive pourrait passer par la cohomologie galoisienne : les k-formes quadratiques non +dégénérées et de rang donné sont en bijection avec H1(k, O) où O est un k-groupe + +MÉMOIRE HDR +39 +orthogonal de rang convenable. L’application +H1(Q, O) −→ +� +ν +H1(Qν, O). +est injective, c’est le théorème d’Hasse–Minkowski. Son défaut de surjectivité est +justement contrôlé par la formule du produit des symboles de Hilbert. Le problème +déjà soulevé se reformule alors ainsi : l’application +H1(Q, O) −→ +� +ν̸=∞ +H1(Qν, O) +n’est plus injective. +On peut alors essayer d’exploiter plus d’informations géométriques de notre si- +tuation et faire surgir des groupes plus petits. Par exemple les motifs qui appa- +raissent dans le problème sont munis non seulement d’une forme quadratique mais +aussi de l’action d’un corps CM. Ajouter cette donnée au problème correspond à +étudier la cohomologie galoisienne d’un tore maximal T du groupe orthogonal O. +On dispose encore d’un principe local-global : l’application +H1(Q, T ) −→ +� +ν +H1(Qν, T ). +est injective. Le point crucial serait alors d’avoir l’injectivité aussi de l’application +H1(Q, T ) −→ +� +ν̸=∞ +H1(Qν, T ). +Malheureusement elle n’est pas injective : on peut calculer son noyau à l’aide de la +suite exacte de Poitou–Tate. +7. Périodes p-adiques à la André +Dans cette section nous présentons un travail en collaboration avec Dragos Fra- +tila. Les motivations sont d’origine géométrique - l’étude des classes algébriques en +caractéristique p - mais le résultat final est plutôt arithmétique : on construit une +algèbre de périodes p-adiques ainsi qu’un cadre tannakien pour l’étudier. +Des telles périodes devraient avoir des analogies avec les périodes complexes que +l’on a rencontré dans l’Exemple 4.11. Les périodes p-adiques de Fontaine possèdent +des propriétés cohomologiques analogues à celles des périodes complexes et même +plus fortes (Remarque 6.9). Par contre les propriétés arithmétiques des périodes +complexes, comme leur transcendence ou leur lien avec les fonctions spéciales, n’ont +pas de bon analogue dans les périodes p-adiques de Fontaine [And90]. +Pendant que notre travail avançait nous avons découvert qu’André avait tissé +des liens similaires [And95, And03]. Son travail nous a été utile pour raffiner notre +étude et notamment pour formuler la condition de ramification (Définition 7.10). +Motivation. Le point de départ vient d’une remarque de Tate : la conjecture de +Tate prédit l’existence de classes algébriques mais elle ne prédit pas quelle classe +cohomologique est algébrique [Mil07, Aside 6.5]. Une façon d’interpréter cette re- +marque est que l’on a une description du Qℓ-espace vectoriel engendré par les classes +algébrique mais on n’a pas de description du Q-espace vectoriel engendré par ces +dernières. C’est un point délicat qui est présent dès le travail de Tate sur la conjec- +ture de Tate pour les diviseurs sur les variétés abéliennes sur un corps fini [Tat66], + +40 +GIUSEPPE ANCONA +et plus récemment dans le travail de Charles sur la conjecture de Tate pour les +diviseurs sur les surfaces K3 [Cha13]. +Un exemple élémentaire qui illustre cette subtilité est le suivant : il existe des +Qℓ-droites dans la cohomologie ℓ-adique d’une variété X, disons définie sur un corps +fini, qui sont Galois invariantes et pourtant elles ne contiennent pas d’élément du +Q-espace vectoriel Im clX. Pour construire de tels exemples prenons X une surface +abélienne, ou une K3, et fixons deux classes de diviseurs α et β linéairement indé- +pendantes. Prenons maintenant une constante c ∈ Qℓ−Q. Alors la droite engendrée +par α + cβ convient. Pour le montrer on peut utiliser le produit d’intersection et le +fait qu’il est défini à coefficients rationnels. +Un échec : cas ℓ-adique. Faute de savoir décrire le Q-espace vectoriel des classes +algébriques, un premier pas est de le comparer à un autre Q-espace vectoriel. C’est +notamment ce que l’on a fait dans l’Exemple 4.9 et la remarque qui le suit. +Prenons une variété Xp définie sur Fp et supposons qu’elle se relève à une va- +riété X définie sur Q. Au moyen d’un plongement σ : Q ֒→ C on dispose d’une +identification +H∗ +B(X(C), Q) ⊗ Qℓ = H∗ +ℓ (Xp) +(7.1) +induite par le théorème de comparaison d’Artin et le changement de base propre et +lisse. Sous cette identification on peut étudier la position du Q-espace vectoriel Zp +des classes algébriques sur Xp par rapport à H∗ +B(X(C), Q). Le premier fait que l’on +remarque est que l’intersection Zp ∩H∗ +B(X(C), Q) contient le Q-espace vectoriel Z0 +des classes algébriques sur X. Inspiré par les différentes versions de la conjectures +des périodes de Grothendieck on peut se demander si cette inclusion est en fait une +égalité. +Après avoir montré que cette question a réponse affirmative dans certains cas, +nous avons compris que la réponse est négative en général. Les cas affirmatifs sont +les surfaces à rang de Picard maximal - par une méthode similaire celle présentée +dans l’Exemple 4.9 - et les variétés abéliennes CM [AF22, §10]. Il est possible de +construire des contre-exemples avec le carré d’une courbe elliptique non CM. L’ar- +gument suit en fait la technique qui a permis à André de montrer que l’analogue +de la conjecture des périodes de Grothendieck est fausse pour le théorème de com- +paraison p-adique. En effet (7.1) dépend du choix de σ. On peut faire varier σ en +utilisant le groupe de Galois absolu du corps de nombre sur lequel X est défini. Dans +certains cas on sait que l’action de ce groupe de Galois sur H∗ +ℓ (Xp) est hautement +non triviale [Ser72], ce qui permet faire varier le Q-espace vectoriel H∗ +B(X(C), Q) +et notamment de le faire rencontrer Zp de façon inattendue. +Cas p-adique. Fixons une fois pour toutes un plongement Q ⊂ Qp. Prenons +comme auparavant une variété X définie sur Q à bonne réduction et notons Xp +sa réduction. On dispose de la comparaison entre cohomologie de de Rham et co- +homologie cristalline +H∗ +dR(X, Q) ⊗ Qp = H∗ +cris(Xp, Qp) +due à Berthelot. +Notons par Zp le Q-espace vectoriel des classes algébriques sur Xp et par Z0 le +Q-espace vectoriel des classes algébriques sur X. On a comme dans le cas ℓ-adique +l’inclusion +Z0 ⊂ Zp ∩ H∗ +dR(X, Q) + +MÉMOIRE HDR +41 +et on peut encore une fois se demander si cette inclusion est en fait une égalité. +Conjecture 7.1. (pGPCw : Analogue p-adique de la version faible de la conjecture +des périodes de Grothendieck.) +Est-ce que l’inclusion Z0 ⊂ Zp ∩ H∗ +dR(X, Q) est une égalité ? +Pour rendre cette question raisonnable il est nécessaire d’imposer une condition +de ramification que l’on discutera plus tard et que l’on ignore pour l’instant (Défini- +tion 7.10). Cette question apparaît comme l’analogue p-adique de la version faible +de la conjecture des périodes de Grothendieck (appelée parfois conjecture de de +Rham–Betti [And04, §7]). La remarque ci dessous fait le lien entre cette conjecture +et différentes conjectures classiques sur les cycles algébriques. +Tout comme son pendant classique, cette conjecture prédit de la transcendence. +En effet elle prédit qu’une classe algébrique en caractéristique p qui n’est pas re- +levable à la caractéristique zéro ne peut pas être dans H∗ +dR(X, Q), autrement dit, +au moins une de ses coordonnées par rapport à une base de H∗ +dR(X, Q) doit être +transcendante. La version forte de la conjecture de Grothendieck p-adique prédira +de façon précise le degré de transcendance de toutes ces coordonnées (Conjecture +7.13). +Remarque 7.2. (pGPCw vs conjectures classiques.) Comparons maintenant la +question qui a été soulevée au paragraphe précédent, notée (pGPCw), avec trois +conjectures classiques que nous rappelons de façon informelle (voir [And04, §7] pour +plus de détails). Ces trois conjectures sont la conjecture de Hodge (HC), la version +faible de la conjecture des périodes de Grothendieck (GPCw) et la conjecture de +Hodge variationnelle p-adique de Fontaine et Messing (pHC). +(HC) Une classe rationnelle en cohomologie singulière est algébrique si et seule- +ment si elle appartient au bon degré de la filtration de de Rham. +(GPCw) Une classe rationnelle en cohomologie de de Rham est algébrique si et +seulement si elle est rationnelle pour la cohomologie singulière +(pHC) Une classe algébrique en cohomologie cristalline se relève à la caractéris- +tique zéro si et seulement si elle appartient au bon degré de la filtration de +de Rham. +De façon informelle, on peut voir (pGPCw) comme « le produit fibré de (pHC) et +(GPCw) au-dessus de (HC) ». +(pGPCw) +→ +(GPCw) +↓ +↓ +(pHC) +→ +(HC) +La partie droite du diagramme concerne la caractéristique zéro, celle de gauche la +caractéristique mixte. La conjectures du bas comparent une structure rationnelle +et une filtration, celles du haut comparent deux structures rationnelles. +Définition 7.3. (Périodes p-adiques à la André.) Soit M ∈ Mot(Q) un motif +homologique 16 à bonne réduction et soit Mp ∈ Mot(Fp) sa réduction. Notons leurs +16. Tout comme dans le cas classique on travaillera qu’avec des motifs vérifiant hom = num, +par exemple les motifs issues de produits de courbes elliptiques : ceci est nécessaire pour avoir des +catégories tannakiennes. + +42 +GIUSEPPE ANCONA +classes algébriques par +Z0(M) = HomMot(Q)(1, M) +et +Zp(M) = HomMot(Fp)(1, Mp). +Considérons le théorème de comparaison de Berthelot +RdR(M) ⊗Q Qp = Rcris(Mp). +(7.2) +Pour tout choix de base B de Zp(M) et B′ de RdR(M) définissons MatB,B′(M) +comme la matrice ayant comme vecteurs colonnes les coordonnées de B par rapport +à B′. Nous appelons les coefficients de cette matrice les périodes p-adique d’André +de M et définissons Pp(M) ⊂ Qp comme la Q-algèbre engendrée par ces périodes. +Remarque 7.4. (Périodes classiques vs périodes p-adiques à la André.) +(1) Si un élément de B est une classe algébrique qui n’est pas relevable à la +caractéristique zéro au moins une de ses périodes devrait être transcendante +par la Conjecture 7.1. +(2) La matrice MatB,B′(M) dépend bien du choix des bases B et B′, par contre +l’algèbre Pp(M) n’en dépend pas. +(3) Pour que l’espace Zp(M) ne soit pas réduit à zéro il faut que M contienne +des facteurs directs de poids zéro. Il faut typiquement imaginer M = +h2n(X)(n) pour une variété X à bonne réduction. De plus, pour avoir des +périodes intéressantes, il faut que M admette des classes algébriques mo- +dulo p qui ne sont pas relevables, sinon toutes les périodes p-adiques seraient +algébriques. +(4) Contrairement au cas classique, la matrice de périodes p-adique n’est pas +carrée, en effet l’inégalité 17 #B′ ≤ #B est stricte en général. +(5) Il est possible de définir les périodes p-adiques pour les motifs mixtes. Il +faut dans ce cas considérer uniquement les motifs mixtes vérifiant (7.2) - +cette relation n’est automatique pour les variétés ouverte. +Exemple 7.5. +(1) (Courbes elliptiques CM et valeurs Gamma.) Considérons +E une courbe elliptique CM. Les périodes complexes de son h1(E) sont un +produit de certaines valeurs spéciales de la fonction gamma ΓC en certains +rationnels explicites dépendant uniquement du corps CM. Il n’y a pas de pé- +riode p-adique associée à h1(E), puisqu’il n’y a pas de classe algébrique dans +le h1(E), par contre on peut considérer le motif M = h1(E) ⊗ h1(E)∨. Ses +classes algébriques correspondent aux endomorphismes de E. Pour avoir des +périodes p-adiques intéressantes considérons un premier p à réduction su- +persingulière, autrement tous les endomorphismes se relèveraient et toutes +les périodes seraient algébriques. Il s’agit de décrire l’action de ces endo- +morphismes par rapport à une base de H1 +dR(E, Q). Ce genre de calculs +a été traités par Coleman et Ogus [Col90, Ogu90]. On y voit apparaître +des produits de valeurs spéciales de la fonction gamma p-adique Γp en des +rationnels. +17. Point technique : cette inégalité a encore besoin de l’hypothèse hom = num. On utilise le +fait que l’équivalence numérique commute à l’extension des scalaires, voir la Conjecture 3.18 et la +remarque qui la suit. + +MÉMOIRE HDR +43 +(2) (Motifs de Kummer et logarithme.) Considérons le motif de Tate mixte de +type Kummer Ka = h1(Gm, {1, a})∨, avec a ∈ Q. Ce motif s’insère dans +une suite exacte +0 −→ +1(+1) −→ Ka −→ +1 −→ 0 +qui est non scindée pour a ̸= 0, 1, −1. En particulier ce motif n’a pas de +classe algébrique non nulle, qui est la raison d’avoir considéré Ka et non +pas son dual h1(Gm, {1, a}). Sa matrice de périodes complexes est +�2πi +log(a) +0 +1 +� +. +Fixons un nombre premier p. Pour a ̸≡ 0, 1 [p], le motif Ka a bonne +réduction. De plus les motifs de Tate sur un corps fini forment une catégorie +semisimple, en particulier la suite exacte ci-dessus se scinde modulo p. On +en déduit que le motif possède une classe algébrique non nulle modulo p +qui est donc non relevable. Sa matrice de périodes p-adiques est +�logp(a) +1 +� +dont l’analogie avec son pendant complexe est encore une fois frappante. +Cette matrice s’obtient à partir du calcul de la matrice du Frobenius agis- +sant sur RdR(Ka) qui est dû à Deligne [Del89, §2.9]. On y voit apparaître le +logp(a1−p) et on trouve curieux que le passage de la matrice de Frobenius à +la matrice de périodes corrige cet exposant. (La correction de logp(a1−p) à +logp(a) aurait pu s’obtenir en changeant de base, or pour ces motifs on dis- +pose de bases canoniques et toutes les matrices décrites ci-dessus utilisent +uniquement ces bases). +(3) (Fonctions hypergéométriques.) Soient M et N deux motifs non isomorphes +mais dont les réductions modulo p le sont. Alors le motif M ⊗ N ∨ a une +classe algébrique modulo p non relevable qui est justement associée à cet +isomorphisme. Ses périodes p-adiques sont les coordonées de RdR(N) par +rapport à RdR(M). +Par exemple on peut considérer M = h1(E) et N = h1(E′) où E et +E′ sont deux relèvements non isogènes d’une courbe elliptique ordinaire +sur un corps fini. On peut notamment choisir E comme le relèvement ca- +nonique de Serre–Tate et E′ comme une courbe elliptique non CM. Les +périodes p-adiques qui apparaissent dans ce cas là sont décrites par Katz +[Kat80]. On y voit notamment apparaître des valeurs spéciales de fonctions +hypergéométriques. +(4) (Matrice du Frobenius.) Soit f ∈ End(Mp) un endomorphisme modulo p. +On peut considérer la matrice de son action par rapport à une base de +RdR(M). Ses coefficients pourront s’interpréter comme périodes p-adiques +à la André en regardant f comme une classe algébrique modulo p du motif +M ⊗ M ∨. D’intérêt particulier est le cas où f est le Frobenius : certains +auteurs [Fur07, Bro17] ont définis les périodes p-adique associés à M comme +ses coefficients. + +44 +GIUSEPPE ANCONA +Le point de vue des périodes p-adiques à la André est meilleure pour +plusieurs raisons. Entre autres, il donne des bornes plus fine à la trans- +cendance ainsi qu’une interprétation motivique de certaines relations natu- +relles, comme celles provenant du polynôme caractéristique du Frobenius, +voir [AF22, Remark 9.7]. +Transcendance. Comme expliqué dans la Remarque 7.4, la Conjecture 7.1 prédit +la transcendance de certaines périodes p-adiques. Le prochain but est de donner +une borne au degré de transcendance de ces périodes (Théorème 7.6) ainsi qu’une +conjecture qui prédira ce degré (Conjecture 7.13). On montrera que cette dernière +conjecture implique en fait la Conjecture 7.1, voir la Proposition 7.12. +Gardons les notations de la Définition 7.3. Considérons les catégories tanna- +kiennes ⟨M⟩ et ⟨Mp⟩ engendrées par M et Mp ainsi que les groupes tannakiens +GdR(M) et Gcris(Mp) associés aux foncteurs fibres RdR et Rcris. +Dans le cadre des périodes classiques, Grothendieck démontre que leur degré de +transcendence est borné par la dimension de GdR(M). Notre résultat principal en +est l’analogue p-adique. +Théorème 7.6. Le degré de transcendance des périodes p-adiques vérifie l’inégalité +degtrPp(M) ≤ dim GdR(M) − dim Gcris(Mp). +Remarque 7.7. (Transcendance classique vs transcendance p-adique.) +(1) Cette inégalité pourrait sembler plus forte que celle du cas complexe mais +la matrice rectangulaire des périodes p-adiques est en général plus petite +que celle des périodes complexes. Elles ont la même taille uniquement dans +le cas de réduction supersingulière ce qui revient à Gcris(Mp) = {1}. +(2) Dans le cadre complexe, le point crucial est d’interpréter les périodes comme +les coordonnées d’un C-point du foncteur T (M) = Isom⊗ +⟨M⟩(RB, RdR). Par +la théorie tannakienne ce foncteur est représentable par une variété affine +sur Q. L’action naturelle de GdR(M) = Aut⊗ +⟨M⟩(RdR) sur T (M) rend cette +variété un torseur. +Dans le cas p-adique le foncteur Zp n’est pas un foncteur fibre, pour des +questions de dimension, ce qui le fait sortir du cadre tannakien. C’est tout +de même un foncteur lax-monoïdal (ce qui revient à dire que le produit de +classes algébriques est une classe algébrique). +Le foncteur Isom⊗ +⟨M⟩(Zp, RdR) est vide en général, encore pour des rai- +sons de dimension. On peut en revanche considérer les transformations na- +turelles tensorielles ou les plongements. +Théorème 7.8. L’inclusion de foncteurs Emb⊗ +⟨M⟩(Zp, RdR) ⊆ Nat⊗ +⟨M⟩(Zp, RdR) +est une égalité. Ces foncteurs sont représentables par une variété H(M) affine sur +Q. L’action naturelle de GdR(M) sur H(M) est transitive. De plus on a un iso- +morphisme H(M)Qp = GdR(M)Qp/Gcris(Mp). + +MÉMOIRE HDR +45 +Remarque 7.9. (Théorème 7.6 implique Théorème 7.8.) En analogie avec le cas +classique on peut interpréter +Zp ⊗ Qp ֒→ Rcris = RdR ⊗ Qp +(7.3) +comme un Qp-point de H(M). L’évaluation en ce point donne un morphisme d’al- +gèbres +eval : O(H(M)) −→ Qp. +(7.4) +Par construction, l’image de ce morphisme est l’algèbre Pp(⟨M⟩) engendrée par +toutes les périodes p-adiques de tous les motifs appartenant à la catégorie ⟨M⟩. +Contrairement au cas classique, ces périodes contiennent strictement celles de M, +en général. Cela vient du fait que l’inclusion Zp(M)⊗n ⊂ Zp(M ⊗n) est stricte en +général : c’est le défaut d’une formule de Künneth pour les classes algébriques. +Le Théorème 7.8 et les relations +Pp(M) ⊂ Pp(⟨M⟩) = Im eval ⊂ Qp. +(7.5) +prouvent le Théorème 7.6 et même l’inégalité plus forte +degtrPp(M) ≤ degtrPp(⟨M⟩) ≤ dim H(M) = GdR(M) − Gcris(Mp). +(7.6) +La définition suivante est inspirée de travaux d’André [And95, And03]. +Définition 7.10. (Condition de ramification.) On dit qu’un motif N est CM si +End(N) est un corps de nombres tel que dimQ End(N) = dim RdR(N). +On dit que le nombre premier p ne ramifie pas dans ⟨M⟩ si, pour tout N dans +⟨M⟩ qui est CM, le nombre premier p ne ramifie pas dans le corps de nombre +End(N). +Exemple 7.11. Soit A une variété abélienne. Dans le cas où N = h1(A), imposer +que End(N) soit un corps de nombres tel que dimQ End(N) = dim RdR(N) revient +à demander que A soit simple et CM. Dans ce cas demander que p ne ramifie pas +dans End(N) correspond à demander que p ne ramifie pas dans son corps CM. +Proposition 7.12. Pour un motif M ′ fixé, les nombres premiers qui ramifient +dans ⟨M ′⟩ sont en nombre fini. +Conjecture 7.13. (p-GPCs : Analogue p-adique de la version forte de la conjecture +des périodes de Grothendieck.) +Si p ne ramifie pas dans ⟨M⟩ alors l’application d’évaluation (7.4) est injective. +De façon équivalente, l’espace homogène H(M) est connexe et le Qp-point de H(M) +induit par (7.3) vit au-dessus du point générique de H(M) (ou encore l’inégalité +degtrPp(⟨M⟩) ≤ dim H(M) = GdR(M) − Gcris(Mp) est en fait une égalité.) +Proposition 7.14. Si M vérifie la Conjecture 7.13 alors pour tout N dans ⟨M⟩ +on a une +Z0(N) = Zp(N) ∩ RdR(N), +c’est-à-dire la Conjecture 7.1 (pGPCw) a réponse affirmative pour N. + +46 +GIUSEPPE ANCONA +Remarque 7.15. +(1) Les preuves des résultats de cette section utilisent des +techniques tannakiennes. Comme déjà mentionné, notamment dans la Re- +marque 7.7(2), on ne peut pas utiliser les résultats classiques tel quels mais +il faut plutôt adapter leurs preuves. +(2) La condition de ramification (Définition 7.10) est inspirée d’une condition +qu’André a imposée dans l’étude de ce genre de questions pour les variétés +abéliennes à réduction supersingulière. Il avait remarqué que ces variétés +pouvaient avoir des périodes p-adiques vérifiant des relations algébriques +non motiviques. Comme mentionné dans l’Exemple 7.5(1), les périodes qui +apparaissent pour de tels motifs sont liées aux valeurs spéciales de la fonc- +tion Gamma p-adique. Ces dernières se trouvent être plus souvent algé- +briques que leurs analogues complexes. +(3) Assez peu est connu sur la conjecture classique des périodes de Grothen- +dieck. La version forte a été démontrée pour les courbes elliptiques CM par +Chudnovsky [Chu80]. Le cas particulier de la courbe elliptique de Fermat +implique notamment la transcendance de ΓC(1/3). La version faible (voir +(GPCw) de la Remarque 7.2) a été montrée pour les diviseurs sur les varié- +tés abéliennes et sur les surfaces K3 par Bost et Charles [BC16], en utilisant +entre autre le théorème du sous-groupe analytique de Wüstholtz [Wüs89]. +Ce sont des résultats difficiles et on peut s’attendre à ce que leurs analogues +p-adiques le soient aussi. +Le seul cas où la Conjecture 7.13 est vérifiée est pour le motif de Kum- +mer Ka de l’Exemple 7.5(2). Cela suit de la transcendence des valeurs +spéciales du logarithme p-adique [Ber77]. Le premier cas ouvert intéressant +serait celui des courbes elliptiques à réduction supersingulière, ce qui don- +nerait notamment la transcendence de Γp(1/3), pour p ≡ 2[3]. La version +faible semble aussi difficile. Une petit résultat dans cette direction a été +donné dans le cas des courbes elliptique non CM à réduction supersingu- +lière [AF22, Proposition 3.5]. +8. Motifs des schémas en groupes commutatifs +Cette section résume deux travaux en collaboration avec Stephan Enright-Ward, +Annette Huber et Simon Pepin Lehalleur [AEWH15, AHPL16]. Ils portent sur +l’anneau de Chow et le motif d’un schéma en groupes commutatifs et généralisent +les théorèmes de Beauville [Bea86] et Deninger–Murre [DM91] qui traitent le cas +des schémas abéliens. Nous expliquons quelles sont les subtilités qui apparaissent +quand on quitte le cadre des schémas en groupes projectifs. Les motifs de Voevodsky +deviennent essentiels, non seulement leur existence mais aussi la nature de leur +construction : c’est un exemple du principe expliqué au §1.3. +Dans ce qui suit S est une variété de type fini et lisse sur un corps k qui jouera +le rôle d’une base fixée. Tout S-schéma en groupe que l’on considérera sera lisse et +de type fini à fibres connexes. Certains énoncés sont valables dans des meilleures +généralités. Pour un S-schéma lisse f : X → S, CH(X) indique l’anneau de Chow +de l’espace total X. On continue à travailler avec les coefficients rationnels. + +MÉMOIRE HDR +47 +Théorème 8.1. (Beauville [Bea86], Deninger–Murre [DM91]) Soient A un S- +schéma abélien de dimension relative g et nA : A → A le morphisme de multi- +plication par n. Alors on a une décomposition +CHi(A) = +g+i +� +r=i +CHi +(r)(A) +où CHi +(r)(A) = {α ∈ CHi(A), n∗ +Aα = nrα, ∀n ∈ Z}. +Remarque 8.2. +(1) Ce théorème a été démontré par Beauville dans le cas +S = Spec(k) et Deninger–Murre dans le cas général. Les deux résultats +utilisent de façon cruciale la transformée de Fourier que l’on rappelle plus +loin. +(2) Quand S = Spec(k), on a l’inclusion +ker cli +A ⊇ +g+i +� +r̸=2i +CHi +(r)(A) +(8.1) +qui vient du fait que n∗ +A agit sur la cohomologie de degré s comme ns · Id . +(3) La décomposition du théorème induit une bigraduation sur l’anneau CH∗ +(•)(A). +Quand S = Spec(k), la nouvelle graduation scinde la filtration de Bloch– +Beilinson qui est conjecturée avoir certaine propriétés par rapport à l’appli- +cation classe de cycle, notamment l’inclusion (8.1) devrait être une égalité. +La filtration de Bloch–Beilinson est conjecturée exister pour tous les an- +neaux de Chow de toutes les variétés projectives et lisses sur k, mais en +général cette filtration ne se scinde pas. +Démonstration. Soient A∨ le schéma abélien dual, P ∈ CH1(A × A∨) le diviseur +associé au fibré de Poincaré et π1, π2 les projections de A×A∨ sur les deux facteurs. +On définit la transformée de Fourier +FA : CH∗(A) −→ CH∗(A∨), +α �→ (π2)∗(exp(P) · π∗ +1α). +On vérifie que c’est un isomorphisme, dont l’inverse est essentiellement FA∨. On en +déduit la décomposition +CHi(A) = +� +s +{α ∈ CHi(A), +FA(α) ∈ CHs(A)}. +(8.2) +Ensuite un calcul direct permet de voir comment n∗ +A agit sur chaque facteur de la +décomposition (8.2). On retrouve ainsi la décomposition de l’énoncé et l’identifica- +tion CHi +(r)(A) = {α ∈ CHi(A), +FA(α) ∈ CHg+i−r(A)}. +□ +Nous montrons la généralisation suivante. +Théorème 8.3. Soient G un S-schéma en groupes commutatifs de dimension re- +lative d et nG : G → G le morphisme de multiplication par n. Alors on a une +décomposition +CH∗(G) = +2d +� +r=0 +CH∗ +(r)(G) +où CH∗ +(r)(G) = {α ∈ CH∗(G), n∗ +Gα = nrα, ∀n ∈ Z}. + +48 +GIUSEPPE ANCONA +Remarque 8.4. +(1) On ne sait pas définir une transformée de Fourier pour +un tel G : l’application π2 n’est pas propre, donc (π2)∗ n’existe pas, et de +plus le dual d’un tel G est un 1-motif en général et non pas une variété. +(2) Le premier cas non trivial pour les groupes non projectifs est donné par +S = Spec(k) et G qui admet une suite exacte +0 −→ Gm −→ G −→ A −→ 0 +où A est une variété abélienne. Dans ce cas le Théorème 8.3 est facile pour +Gm et connu pour A mais on ne peut pas le déduire directement pour G. +Le problème est que cet énoncé se comporte bien pour les sommes directes +mais mal pour les suites exactes. L’énoncé qui suivra sera plus adapté à ce +genre de dévissage. +Définition 8.5. Soient Sm/S la catégorie des S-schémas lisses de type fini et +PSh(S) la catégorie des préfaisceaux sur Sm/S à valeur dans les Q-espaces vec- +toriels. Soient Q(G) ∈ PSh(S) le préfaisceau qui associe à chaque Y ∈ Sm/S le +Q-espace vectoriel ayant comme base l’ensemble HomS(Y, G) et G ∈ PSh(S) celui +qui associe à chaque Y ∈ Sm/S le Q-espace vectoriel HomS(Y, G) ⊗Z Q. La loi de +groupe de G induit une transformation naturelle +sG : Q(G) −→ G. +Par construction de DM(S), la catégorie des motifs relatifs 18, les préfaisceaux ci- +dessus induisent des motifs et la transformation naturelle un morphisme entre eux +que l’on notera +αG/S : M(G/S) −→ M1(G/S). +Le motif M(G/S) est appelé le motif de G et le motif M1(G/S) est appelé le +1-motif de G. +Théorème 8.6. Gardons les notations de la définition ci-dessus. Alors le motif +Symr M1(G/S) est nul pour r assez grand et le morphisme αG/S se prolonge en un +unique morphisme de motifs en algèbres de Hopf +ϕG/S : M(G/S) −→ +� +r=0 +Symr M1(G/S) +(8.3) +qui est de plus un isomorphisme. +Remarque 8.7. +(1) (Motifs vs faisceaux.) Ce théorème n’est pas une consé- +quence formelle d’un énoncé sur les préfaisceaux. Remarquons par exemple +que le faisceau Symr G n’est pas nul, puisque G est un faisceau en espaces +vectoriels. +Un phénomène plus subtile est le suivant : le théorème montre en parti- +culier l’existence d’applications non nulles de M1(G/S) vers M(G/S). En +revanche, il n’y a pas d’application non nulle du faisceau G vers Q(G). +18. On considère ici uniquement la version stable de cette catégorie, c’est-à-dire la catégorie +obtenue après ⊗-inversion du motif de Lefschetz. Il y a plusieurs descriptions de la catégorie +stable DM(S). Il se trouve qu’elles sont équivalentes sous des hypothèses assez générales qui sont +notamment satisfaites pour les bases S que l’on considère. La version qui est adaptée à la Définition +8.5 est celle des motifs étales étudiés par Ayoub. Cette catégorie DM(S) est obtenue à partir de +D(PSh(S)) en localisant pour imposer la descente étale et l’invariance par A1-homotopie, puis en +stabilisant. + +MÉMOIRE HDR +49 +Esquissons l’argument. Soient α : G → Q(G) une telle transformation na- +turelle et idG ∈ G(G) l’application identité. La naturalité de α implique +qu’il suffit de voir que α(idG) = 0. Posons α(idG) = ai · fi où ai sont des +nombres rationnels et les fi sont des endomorphismes de G. +Pour montrer ai · fi = 0 considérons la naturalité par rapport aux mor- +phismes nG de multiplication par n : +idG +❴ +� +✤ +� � ai · fi +❴ +� +G +nG +� +α � Q(G)(G) +nG +� +G +α � Q(G)(G) +nG = n · idG ✤ +� � nai · fi +� ai · (nG ◦ fi). +On prétend que l’égalité � nai · fi = � ai · (nG ◦ fi) force tous les fi à +être nuls. tout d’abord supposons par l’absurde qu’il y avait un fi, disons +f1, qui n’était pas de torsion. Alors la liste des morphismes nG ◦ f1 serait +infinie et on pourrait choisir un n tel que nG ◦ f1 n’apparaisse pas dans la +liste des fi. Ceci contredirait l’égalité � nai · fi = � ai · (nG ◦ fi). +On peut alors supposer que les fi soient tous de torsion et on peut donc +choisir un n tel que les nG ◦ fi soient tous nuls. L’égalité � nai · fi = +� ai · (nG ◦ fi) = 0 implique alors � ai · fi = 0. +(2) (Décomposition de Chow–Künneth.) On continue à noter par nG : G → G +le morphisme de multiplication par n. Remarquons que son action sur +M1(G/S) vaut n · Id. En particulier l’isomorphisme (8.3) donne une dé- +composition de M(G/S) en espaces propres par rapport à l’action de nG. +On en déduit par ailleurs que cette décomposition est une décomposition +de Chow–Künneth relative (voir la Conjecture 3.1 pour le cas absolu). +(3) (Décomposition de l’anneau de Chow.) La décomposition du point (2) +donne une décomposition de +HomDM(S)(M(G/S), +1(p)[q]) +(8.4) +en espaces propres par rapport à l’action de nG. Comme ces Hom cal- +culent 19 les groupes de Chow supérieurs [CD19, Corollary 14.2.14] on dé- +duit le Théorème 8.3. +(4) (Décomposition de motifs vs décomposition d’anneaux de Chow.) Pour les +schémas abéliens G = A les décompositions des anneaux de Chow au point +(3) permettent de retrouver celle du motif au point (2) comme l’ont remar- +qué Deninger et Murre. Le point est de considérer A ×S A comme schéma +abélien sur A et d’appliquer le Théorème 8.1 à ce schéma abélien : la dia- +gonale se décomposera alors en somme de vecteurs propres. D’autre part la +19. Les constructions de Grothendieck et de Voevodsky ont une convention de covariance diffé- +rente, notamment les motifs de Chow se plongent dans les motifs de Voevodsky par un foncteur +contravariant. C’est la raison pour laquelle l’objet +1(p)[q] apparaît à droite dans la formule (8.4). + +50 +GIUSEPPE ANCONA +diagonale s’interprète comme l’identité du motif M(A/S) et on peut veri- +fier que cette décomposition de Id ∈ End(M(A/S)) est une décomposition +en somme de projecteurs orthogonaux. +Pour un G général, la formule +EndDM(S)(M(G/S)) = HomDM(S)(M(G/S) ⊗ M(G/S)∨, +1) +ne permet pas de relier ce groupe à l’anneau de Chow de G ×S G. En effet +la dualité de Poincaré identifie, à un twist et shift près, M(G/S)∨ avec +Mc(G/S) qui n’est pas, en général, M(G/S). Dans ce cas la décomposition +des anneaux de Chow du Théorème 8.3 ne permet pas de retrouver celle +des motifs au point (2). +(L’argument ci-dessus montre qu’en général les endomorphismes d’un +motif sont reliés aux groupes de Chow uniquement dans le cas propre et +lisse. Cela a déjà été signalé au §1.1 et c’est le point qui limite la construction +classique de Grothendieck au cadre propre et lisse.) +(5) (Voevodsky vs Chow.) Dans le cas G = A d’un schéma abélien, une formule +M(A/S) ∼= +� +r=0 +Symr M1(A/S) +(8.5) +a été montré par Künnemann encore à l’aide de la transformée de Fourier +[Kün94]. Une version plus faible, valable pour les motifs homologiques, a +été discutée dans la Proposition 4.7. +A l’époque de [Kün94] on ne disposait pas des motifs de Voevodsky et +le travail a été fait dans les motifs de Chow. Dans ce cas l’existence du +motif M1(A/S) présent dans la formule (8.5) n’est pas du tout triviale : +il faut construire un projecteur convenable de End(M(A/S)). Ce motif est +en revanche facile à définir dans le cadre de Voevodsky (Définition 8.5). Un +des avantage des motifs de Voevodsky sur les motifs de Chow est notam- +ment cette possibilité de disposer facilement de motifs par des constructions +faisceautiques : c’est le principe que nous avons mentionné au §1.3. +Démonstration. La preuve se base sur deux dévissages qui font chacun l’objet d’un +article. Un premier dévissage sert à se réduire au cas d’un corps algébriquement clos +S = Spec(K), [AHPL16]. Le deuxième [AEWH15] est une réduction aux cas des +variétés abéliennes, ce qui nous ramène essentiellement au résultat de Künnemann +[Kün94]. +Réduction à S = Spec(K). Pour le premier dévissage on utilise le théorème +suivant d’Ayoub [Ayo14, Proposition 3.24]. Si f : M → N est un morphisme de +motifs dans DM(S) alors pour voir si f est un isomorphisme il suffit de voir si son +tiré en arrière en tout point géométrique l’est. +Soit i : Spec(K) → S un point géométrique. Pour compléter le premier dévissage +il suffit alors de montrer que +i∗ϕG/S = ϕG×SSpec(K)/ Spec(K). +(8.6) +La formule (8.6) est en fait le point technique du travail. Pour tout morphisme +g : T → S, le foncteur g∗ est caractérisé par la propriété que, pour tout S-schéma +lisse X, on ait le changement de base +g∗M(X/S) = M(X ×S T/T ) +(8.7) + +MÉMOIRE HDR +51 +comme pour la cohomologie à support compact. Or parmi les deux motifs qui +interviennent dans le morphisme ϕG/S, seulement M(G/S) est de cette forme. Le +point est alors de trouver une résolution de M1(G) par un complexe dont tous les +termes sont des sommes d’objets de la forme M(X/S) en tous les degrés et toutes +les flèches de connections sont induites par des morphismes de S-schémas. +Nous construisons une telle résolution inspirée par des construction de [Bre70]. +On utilise uniquement des X qui sont des puissances de G. Avec les notations de +la Définition 8.5 on peut écrire son début sous la forme +· · · −→ Q(G × G) +tG +−→ Q(G) +sG +−→ G, +où tG([g1, g2]) = [g1] + [g2] − [g1 + g2]. +Réduction à G = A. Pour le deuxième dévissage fixons un corps algébriquement +clos K et considérerons S = Spec(K). Dans la suite on allégera la notation en +enlevant les /S. +Le théorème de Chevalley nous dit qu’un groupe algébrique sur un corps K +s’insère dans une suite exacte +0 −→ L −→ G −→ A −→ 0, +où A est une variété abélienne et L est un groupe linéaire. On peut alors raisonner +par récurrence sur la dimension de L et se ramener à +0 −→ Ga −→ G −→ H −→ 0 +(8.8) +ou +0 −→ Gm −→ G −→ H −→ 0, +(8.9) +où dans les deux cas H est un groupe pour lequel l’énoncé est connu. Le cas (8.8) +est facile : par homotopie l’énoncé pour G est équivalent à l’énoncé pour H. Pour +le cas (8.9) l’argument est plus délicat. +Premièrement, la suite exacte (8.9) donne une suite exacte au niveau des fonc- +teurs des points. Si on applique Symn a cette dernière on obtient un triangle +Symr−1 M1(H) ⊗ M1(Gm) −→ Symr M1(G) −→ Symr M1(H), +où on a utilisé Sym2 M1(Gm) = 0 [Voe00, Corollary 2.1.5]. Cette suite exacte permet +de déduire par récurrence que Symr M1(G) s’annule pour r assez grand. +Deuxièmement, on complète le Gm-fibré G −→ H en un A1-fibré ¯G −→ H avec +une section nulle. Le triangle de localisation par rapport à la section donne +M(G) −→ M( ¯G) −→ M(H)(1)[2], +or par homotopie M( ¯G) = M(H). On utilise maintenant l’hypothèse de récurrence +et on en déduit le diagramme +M(G) +� +ψ +�✤ +✤ +✤ +✤ +✤ +✤ +M(H) +� +ϕH +� +M(H)(1)[2] +ϕH(1)[2] +� +� +r Symr M1(G) +� � +r Symr M1(H) +� � +r Symr M1(H)(1)[2]. +(8.10) + +52 +GIUSEPPE ANCONA +L’existence de ψ suit de la commutativité du carré de droite. Cette commutativité +n’est pas gratuite, elle utilise la définition de l’application ϕH. +Par hypothèse de récurrence on déduit que l’application ψ est un isomorphisme. +Malheureusement la récurrence n’est pas terminée puisqu’on ne sait pas lier ψ à +ϕG. L’existence de ψ a tout de même une conséquence importante : M(G) est un +motif de dimension finie, voir la Remarque 3.21(2). +On montre que la réalisation de ϕG est un isomorphisme. On peut alors appliquer +la Proposition 4.5 à ϕG et ψ−1 pour déduire que ϕG est un isomorphisme après +passage au quotient par l’équivalence homologique. On peut ensuite utiliser les +propriétés des motifs de dimension finie pour conclure que ϕG est un isomorphisme +même avant passage au quotient (voir la Remarque 3.21(2), cf. le Théorème 5.2 +dans le cas pur). +□ +Remarque 8.8. +(1) La notion de dimension finie dans les motifs a toujours +été appliquée pour les motifs purs : elle ne se comporte pas bien par suite +exacte et on connait des exemples de motifs mixtes qui ne sont pas de +dimension finie. À notre connaissance cette preuve est le premier exemple +d’application de ces idées aux motifs mixtes. +(2) Le Théorème 8.6 a permis à Huber et Kings de construire le polylogarithme +pour tous les schémas en groupes commutatifs. +(3) Le Théorème 8.6 donne une description du motif d’un groupe algébrique +commutatif G en terme d’un motif assez simple, M1(G). On pourrait espérer +que cela puisse aider à une meilleure compréhension des anneaux de Chow +de G. +9. Construction de classes algébriques +Cette section concerne la conjecture standard de type Lefschetz, introduite dans +la Conjecture 3.11. Dans un travail en cours en collaboration avec Mattia Cavicchi, +Robert Laterveer et Giulia Saccà, nous étudions cette conjecture pour les variétés +hyper-kähler qui admettent une fibration lagrangienne. Le point de départ est une +idée récente de Voisin [Voi22] que l’on regarde dans la perspective du théorème de +décomposition. +Nous nous concentrerons dans la suite sur les variétés complexes, la conjecture +standard de type Lefschetz est alors une instance particulière de la conjecture de +Hodge. De façon assez surprenante elle en est aussi le pilier principal : André dé- +montre que sous la conjecture standard de type Lefschetz le transport parallèle de +classes algébriques est encore algébrique [And96]. Il en déduit que cette conjecture +impliquerait la conjecture de Hodge pour les variétés abéliennes. +La conjecture standard de type Lefschetz est connue pour les variétés abéliennes, +voir la Proposition 4.7, et on sait en déduire le cas des surfaces. Plus récemment +Charles et Markmann l’ont montrée pour les variétés hyper-kähler de type KS[n], +[CM13]. +La dimension d’une variété X sera notée dX et la dimension de la fibre générique +d’un morphisme f sera notée df. Même en présence de faisceaux pervers on utilisera +la convention classique pour les degrés cohomologiques. +9.1. Une approche naïve. Considérons une variété projective et lisse X et sup- +posons qu’elle admette un morphisme f : X → B vers une base B qui est aussi + +MÉMOIRE HDR +53 +projective et lisse. Nous nous demandons jusqu’à quel point connaître la conjecture +standard de type Lefschetz pour B et pour les fibres lisses de f peut aider pour +montrer la conjecture standard de type Lefschetz pour X. +Le théorème de décomposition implique en particulier une décomposition 20 de +structures de Hodge +Hn(X) = +� +a+b=n +Ha(B,pRbf∗Q). +(9.1) +Soient η un diviseur sur X qui soit relativement ample, LB un diviseur ample sur +B et β son tiré en arrière sur X. Le théorème de décomposition fournit aussi les +isomorphismes +∪ηb : Ha(B,pRdf−bf∗Q) +∼ +−−→ Ha(B,pRdf+bf∗Q), +(9.2) +∪βa : HdB−a(B,pRbf∗Q) +∼ +−−→ HdB+a(B,pRbf∗Q). +(9.3) +La combination de (9.1), (9.2) et (9.3) peut suggérer que la conjecture standard +de type Lefschetz se ramène à montrer que les inverses de ces isomorphismes sont +algébriques et à première vue on pourrait penser que ces derniers se ramènent +uniquement à l’étude des fibres de f et de la base B. Mais il faut en fait faire +attention à un certain nombre de subtilités. +(1) Les faisceaux pervers pRbf∗Q dépendent aussi des fibres singulières du mor- +phisme f. +(2) Inverser l’action de LB sur la cohomologie de B ne suffit pas à inverser β. +En effet f ∗ H(B) ⊂ H(X) ne représente que le facteur H∗(B,pR0f∗Q) de la +décomposition (9.1). +(3) Même si on était capables de construire des correspondances algébriques Ληb +et Λβa qui agiraient comme les inverses de (9.2) et (9.3) il n’est pas clair de +pouvoir les mettre ensemble pour déduire une correspondance algébrique +Λn : HdX+n(X) +∼ +−−→ HdX−n(X). Il faudrait par exemple contrôler comment +Ληb agit sur les degrés pervers différents de b. C’est délicat, notamment +parce que les opérateurs η et β ne sont pas bigradués en général. +Dans le cas des variétés hyper-kähler qui admettent une fibration lagrangienne on +peut espérer contourner ces problèmes : le théorème du support de Ngô donne une +description explicite des faisceaux pervers pRbf∗Q, un argument de Voisin permet +grosso-modo de construire une deuxième fibration lagrangienne qui inverse le rôle +de η et β, enfin Shen et Yin ont montré que les opérateurs η et β sont en fait +bigradués pour les fibrations lagrangiennes. +Proposition 9.1. Soit f : X → B une application entre variétés projectives, lisses +et connexes et soit U l’ouvert de B sur lequel l’application est lisse. +(1) Supposons que la fibre générique vérifie la conjecture standard de type Lef- +schetz et que +pRbf∗Q = IC((Rbf∗Q)|U). +(9.4) +20. Une telle décomposition n’est pas unique en général, seulement la filtration perverse associée +l’est. Deligne, puis De Cataldo, ont proposé des décompositions qui se comportent mieux que les +autres [Del94b, dC13]. + +54 +GIUSEPPE ANCONA +Alors il existe des correspondances dans X ×B X dont l’action sur la coho- +mologie relative induit des isomorphismes pRdf+bf∗Q +∼ +−−→ pRdf−bf∗Q. +(2) Supposons qu’il existe des correspondances dans X×BX dont l’action sur la +cohomologie relative induit des isomorphismes pRdf+bf∗Q +∼ +−−→ pRdf−bf∗Q. +Alors il existe une décomposition du motif +h(X) = +� +b +h(B,pRbf∗Q) +(9.5) +où R(h(B,pRbf∗Q)) = H∗(B,pRbf∗Q). De plus chaque facteur de la décom- +position est autodual à un twist près. +Remarque 9.2. (Autour de la preuve.) La preuve de (1) est facile. Soit Y la fibre +générique de f. L’hypothèse sur Y dans (1) fournit des correspondances dans Y ×Y , +dont les adhérences donnent des correspondances dans X ×B X. Leur action sur +la cohomologie relative IC((Rbf∗Q)|U) est contrôlée par leur action sur le système +local (Rbf∗Q)|U et donc par l’action sur la cohomologie de Y . +Pour (2) on suit l’argument classique qui montre que Lefschetz implique Kün- +neth [Kle68]. Par rapport au cas absolu on prendra garde au fait que la décom- +position (9.5) n’est pas unique. L’action des correspondances relatives ne respecte +pas cette graduation mais seulement la filtration associée. Par ailleurs on ne sait +pas démontrer que toute décomposition cohomologique (9.1) est la réalisation d’une +décomposition motivique (9.5) mais seulement qu’il en existe au moins une qui est +d’origine motivique. +Corollaire 9.3. Soit f : X → P1 une fibration de Lefschetz dont la fibre générique +vérifie la conjecture standard de type Lefschetz (par exemple f est une fibration en +surfaces). Alors il existe une décomposition du motif +h(X) = +� +b +h(P1,pRbf∗Q) +(9.6) +où R(h(P1,pRbf∗Q)) = H∗(P1,pRbf∗Q). De plus chaque facteur de la décomposition +est autodual à un twist près. +Remarque 9.4. (Du relatif à l’absolu.) Toute variété de dimension trois admet +une fibration de Lefschetz après éclatement le long d’une courbe C. D’autre part +la formule de l’éclatement +h(BlC(X)) = h(X) ⊕ h(C)(−1), +due à Manin [Man68], montre que la conjecture standard de type Lefschetz pour +X se ramène à celle pour BlC(X). Si l’on veut étudier la conjecture standard de +type Lefschetz pour une variété X de dimension trois on peut donc supposer que X +admet une telle fibration. Ce qui manque au corollaire ci-dessus pour déduire cette +conjecture est l’existence d’une décomposition +h(P1,pRbf∗Q) = +2 +� +a=0 +ha(P1,pRbf∗Q), +où R(ha(P1,pRbf∗Q)) = Ha(P1,pRbf∗Q), telle que chaque facteur de la décomposi- +tion soit autodual à un twist près. + +MÉMOIRE HDR +55 +Pour construire cette décomposition on pourrait vouloir utiliser l’isomorphisme +(9.3) et essayer de construire une correspondance algébrique qui induise l’inverse. +C’est une question qui ressemble au problème original de construction de l’inverse +de l’opérateur de Lefschetz. On ne sait pas si c’est un problème plus simple, voir +aussi la Remarque 9.8. +Théorème 9.5. Soit X une variété hyper-kähler de dimension 2n et f : X → Pn +une fibration lagrangienne dont toutes les fibres sont irréductibles. Supposons que +le schéma en groupes Aut0(f) soit polarisable (au sens de Ngô). Alors +h(X) = +2n +� +b=0 +h(Pn,pRbf∗Q) +(9.7) +où R(h(Pn,pRbf∗Q)) = H∗(Pn,pRbf∗Q). De plus chaque facteur de la décomposition +est autodual à un twist près. +Démonstration. On utilise le théorème du support de Ngô, [Ngô10] : quand les +fibres sont toutes irréductibles on a bien l’hypothèse (9.4). D’autre part la fibre +générique est une variété abélienne, donc elle vérifie la conjecture standard de type +Lefschetz. On peut alors utiliser la Proposition 9.1 pour conclure. +□ +Corollaire 9.6. Soit X une variété hyper-kähler de dimension 2n de rang de Pi- +card 2 qui admet une fibration lagrangienne. Supposons que pour toute fibration +lagrangienne g de n’importe quel variétés hyper-kähler birationnelle à X, les fibres +de g soient irréductibles et le schéma en groupes Aut0(g) soit polarisable. Alors la +conjecture standard de type Lefschetz est vraie pour X. +Démonstration. Fixons f : X → Pn une fibration lagrangienne et soit η et β les +diviseurs introduits dans §9.1. Un argument de Voisin [Voi22] montre grosso-modo +l’existence d’une fibration lagrangienne g : X → Pn où le rôle de η et β est inversé. +En fait g existe seulement sur une variété hyper-kähler qui est birationnelle à X, +mais elles ont le même motif [Rie16]. +On peut alors appliquer le théorème ci-dessus à f et g pour déduire deux décom- +positions du motif h(X) dont tous les facteurs sont autoduaux. Il n’est pas clair que +ces deux décompositions soient compatibles, voir aussi le point (3) dans §9.1. Mais +un théorème de Shen et Yin montre que les opérateurs η et β sont bigradués pour +les fibrations lagrangiennes : on peut voir que ceci force les deux décompositions +à être compatibles. La bidécomposition que l’on en déduit est plus fine que (9.1) +et a tous les facteurs autoduaux, ce qui implique la conjecture standard de type +Lefschetz. +□ +Le corollaire ci-dessus s’applique par exemple aux variétés hyper-kähler construites +par Laza–Saccà–Voisin [LSV17]. +Remarque 9.7. (Généralisations.) On souhaite se débarrasser de l’hypothèse d’ir- +réductibilité des fibres dans le théorème ci-dessus, ce qui permettrait de l’enlever +aussi dans son corollaire et de pouvoir l’appliquer à beaucoup plus de variétés. +Si les fibres ne sont pas irréductible les faisceaux pervers pRbf∗Q ne vérifient plus +(9.4). Cependant le théorème du support de Ngô décrit aussi la nature des faisceaux +pervers supportés sur les sous-variétés strictes de la base. Il montre l’existence + +56 +GIUSEPPE ANCONA +de certaines variétés abéliennes contenues dans certaines fibres singulières dont la +cohomologie contrôle les faisceaux pervers. On pense qu’une variante stratifiée de +la Proposition 9.1 devrait s’appliquer à ce contexte général. On utilisera encore que +les variétés abéliennes vérifient la conjecture standard de type Lefschetz. +Remarque 9.8. (Du relatif à l’absolu, suite.) Reprenons les notations de la Re- +marque 9.4. On souhaiterait montrer l’existence d’une décomposition +h(P1,pRbf∗Q) = +2 +� +a=0 +ha(P1,pRbf∗Q), +(9.8) +où R(ha(P1,pRbf∗Q)) = Ha(P1,pRbf∗Q), telle que chaque facteur de la décomposi- +tion soit autodual à un twist près : ceci montrerait la conjecture standard de type +Lefschetz pour les variétés de dimension trois. +Pour construire cette décomposition on pourrait vouloir utiliser l’isomorphisme +(9.3) induit par la classe β et essayer de construire une correspondance algébrique +qui induise l’inverse. Inspirés par l’idée de Voisin esquissé dans la preuve du co- +rollaire ci-dessus on peut essayer de construire une nouvelle fibration g : X → P2 +telle que β soit relativement ample (ces constructions sont toujours possibles après +éclatement). Une telle fibration induit une décomposition +h(X) = +2 +� +a=0 +h(P2,pRag∗Q) +(9.9) +où ∪β : h(P2,pR0g∗Q) +∼ +−−→ h(P2,pR2g∗Q) admet un inverse algébrique. Le problème +est qu’en général la décomposition (9.9) n’induit pas la décomposition (9.8). C’est +encore lié au fait que les actions de η et β ne sont pas bigraduées en général. + +MÉMOIRE HDR +57 +Références +[ACLS22] +Giuseppe Ancona, Mattia Cavicchi, Robert Laterveer, and Giulia Saccà. Standard +conjectures for some lagrangian fibrations. prépublication, 2022. +[AEWH15] Giuseppe Ancona, Stephen Enright-Ward, and Annette Huber. On the motive of a +commutative algebraic group. Documenta Math., 20 :807–858, 2015. +[AF22] +Giuseppe Ancona and Dragos Fratila. Algebraic classes in mixed characteristic and +André’s p-adic periods. prépublication, 2022. +[AHPL16] +Giuseppe Ancona, Annette Huber, and Simon Pepin Lehalleur. On the relative motive +of a commutative group scheme. Algebr. Geom., 3(2) :150–178, 2016. +[AM22] +Giuseppe Ancona and Adriano Marmora. 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